Dans un pays où les gangs dictent leur loi et chassent des familles entières de leurs foyers, certains continuent malgré tout de miser sur le développement. Pari insensé ou clairvoyance ? Chaque initiative peut peser contre le chaos.
Alors que beaucoup se désespèrent de la situation politico-sociale et sécuritaire du pays, certaines initiatives continuent de voir le jour. Les 24 et 25 juillet 2025, le Centre de facilitation des investissements (CFI) a ainsi annoncé la création de la Direction des études et de l’intelligence économique (DEI). Cette nouvelle entité est chargée de produire des analyses économiques stratégiques — notamment de veille —, de fournir aux décideurs des informations fiables pour éclairer leurs choix et de conseiller le CFI sur les orientations à adopter afin de renforcer la compétitivité d’Haïti.
Le Centre de compétitivité et de stratégie d’Haïti (CCS-Haïti), fondé par l’ancien député Anouce Bernard (1), a salué cette initiative. Dans un communiqué publié le 29 juillet, il a qualifié la création de la DEI « d’avancée majeure » pour le pays.
Grand défenseur de l’Intelligence économique, qu’il considère comme un outil stratégique de gouvernance publique, Anouce Bernard a rappelé : « Dans un contexte mondial en évolution rapide, l’intelligence économique est essentielle pour renforcer la compétitivité, anticiper les transformations économiques et orienter les investissements vers des secteurs clés. » Il voit dans cette initiative du CFI un levier essentiel pour renforcer la résilience économique du pays.
Dans son communiqué, le Centre de compétitivité et de stratégie d’Haïti en a profité pour dévoiler trois priorités pour doper la compétitivité du pays. En tête de liste : la création d’une plateforme de résilience territoriale inclusive, élaborée en partenariat avec les collectivités locales. Autre axe fort, le lancement de formations certifiantes en veille stratégique, destinées à renforcer les compétences clés des acteurs économiques. Enfin, le Centre veut intégrer l’intelligence économique au cœur des grandes stratégies sectorielles — agriculture, énergie, textile, tourisme — afin de stimuler l’innovation et la performance à l’échelle nationale.
« Soutien au développement »
En partenariat avec le Strategic Consortium of Intelligence Professionals / Intelligence Center of Excellence (SCIP ICeO), le CCS-Haïti a réaffirmé son engagement à mettre en place un véritable système national d’intelligence économique, capable de « soutenir le développement durable et de renforcer la souveraineté économique » du pays.
Un tel projet mérite d’être encouragé, surtout lorsque l’on constate qu’au cours de ces dernières décennies, Haïti a progressivement perdu sa souveraineté économique, jusqu’à celle de son alimentation. Le pays dépend aujourd’hui massivement des importations, souvent au détriment de la qualité et de la compétitivité de ses propres productions. Il est temps d’investir en nous-mêmes et dans nos capacités plutôt que d’importer, à grande échelle, des produits qui ne sont pas toujours à la hauteur des standards souhaités.
Interrogé sur les leviers d’un développement durable, Bernard défend la création d’un système national d’intelligence économique destiné à renforcer la souveraineté du pays. Objectif : anticiper les évolutions économiques et géopolitiques, protéger les filières stratégiques, valoriser les ressources locales et stimuler l’innovation.
Sa feuille de route s’articule autour de quatre priorités : une veille permanente, la protection des actifs clés, la valorisation de la production nationale et la formation des acteurs publics et privés aux outils d’intelligence économique.
Parmi les mesures proposées : une étude comparative des meilleures pratiques internationales, l’implication des collectivités locales dans la collecte de données, une analyse SWOT pour affiner les stratégies, le développement d’outils technologiques et la sensibilisation des acteurs économiques.
Selon Bernard, cette stratégie permettrait à Haïti de réduire sa dépendance aux importations, de créer des emplois qualifiés, de renforcer sa compétitivité et de gagner en résilience face aux crises.
Certains diront que, dans un contexte marqué par la criminalité et l’instabilité, de tels projets relèvent de l’utopie. Peut-être… Mais les grandes transformations commencent souvent par un rêve que l’on ose poursuivre. Et si, plutôt que d’attendre des jours meilleurs, nous préparions dès maintenant les esprits, les compétences et les structures qui feront renaître Haïti ? Ainsi, lorsque le pays retrouvera le chemin de la prospérité, ses bâtisseurs seront déjà debout, prêts à l’accompagner vers un avenir qu’il mérite depuis trop longtemps. Pourquoi pas ?
Huguette Grenz
Notes :
(1) Consultant au sein de Economic Intelligence and Territorial Foresight, Anouce préside également le Strategic Consortium of Intelligence Professionals / Intelligence Center of Excellence (SCIP ICeO). Diplomate et ancien député et président de la Commission des Affaires étrangères, il est pionnier de l’Intelligence économique en Haïti. Il prépare un doctorat pour en poser les fondations dans le pays.