Le procès de Kafka ou le destin tragique de Joseph K. et ses vaines recherches d'un possible acquittement

Le procès de Franz Kafka, écrivain praguois de langue allemande, est, selon toute évidence, une œuvre inachevée comme c’est le cas d’autres œuvres de la littérature mondiale. En témoignent les différents chapitres non achevés placés à la fin de l’ouvrage. Ce constat ne se tient pas qu’à cela. Le récit ressemble à un puzzle dont on a enlevé plusieurs pièces qui constituent des éléments indispensables à la compréhension de la totalité du récit. On essaie non sans difficulté à connecter certaines pièces. Par exemple, le récit de l’abbé à Joseph K. et les réflexions de ce dernier ne montrent pas de liens évidents avec l’ensemble du texte. Pourquoi l’abbé s’était-il senti obligé de raconter cette histoire à K. ? Pourquoi K. manifeste-t-il autant d’intérêt pour cette histoire alors que, c’est en général, un personnage indifférent et têtu ? Face à ces questions, l’on ne peut songer qu’à émettre des hypothèses sur une éventuelle connexion avec l’ensemble du texte, surtout en ce qui concerne le procès de K. cependant, on ne peut s’empêcher de nous demander : et si c’était cela le projet d’écriture de Kafka ? Une écriture volontairement déroutante et déconcertante ?

Malgré les considérations sus-citées, ce roman posthume de Kafka n’est pas moins un chef-d’œuvre de la littérature mondiale. Ce texte est indéniablement ancré dans le mouvement absurde, une tendance artistique qui a traversé les différentes sphères de la littérature, du théâtre et de la philosophie. Ce mouvement est né au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, précisément pendant la sombre période de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Les écrivains représentant cette vision esthétique souvent cités sont Albert Camus, Samuel Becket, Eugène Ionesco et Jean-Paul Sartre. Leurs œuvres mettent en exergue la contradiction ou l’incohérence du monde, la fatalité, l’absurdité de la condition humaine, le rapport au tragique, la solitude et l’inévitabilité de la mort.

Le procès commence avec l’arrestation de Joseph K., fondé de pouvoir à la banque. Un beau matin, deux hommes en noir dont il ne connaissait pas, dont il n’attendait pas, débarquent chez lui alors qu’il attendait son petit déjeuner. En sortant de sa chambre, il tombe, l’air curieux et interrogateur, sur les deux hommes. Une rencontre pour le moins agaçante qui commence par une moquerie de la part des étrangers. D’un coup, K. s’est vu interdit de sortir. « [V]ous êtes arrêté », lui a signifié l’un des deux hommes. Une arrestation dont il ne connaîtra pas la cause. « K. vivait pourtant dans un Etat constitutionnel ».  Il est sous le coup d’un arrêt, mais on lui laissera libre de faire ce qu’il voulait. Il lui suffisait tout simplement de se présenter aux rendez-vous au tribunal. Depuis, son procès est engagé. De l’employé modèle qu’il était, K. est devenu négligent tellement il était préoccupé par son procès. Pendant le déroulement de son procès, le seul interrogateur auquel il sera confronté sera le juge d'instruction, qui semble prendre plaisir à enchaîner interrogatoire sur interrogatoire. Son avocat, Me Huld, ne montre aucun intérêt particulier pour son client et continue à le persuader à tort que ses relations personnelles pourraient influencer son procès. Alité la plupart du temps à cause de sa maladie, le vieil avocat qui entretient de bonnes relations avec avocats et fonctionnaires du système judiciaire ne lui offre que des consultations pour lui expliquer le soi-disant avancement de son affaire au lieu de préparer en bonne et due forme sa défense. Le peu d’égard qu’il a pour K. tient à l’amitié qu’il a pour son oncle, mais aussi pour la vivacité et le comportement hautain du jeune homme.

Un jour, un client de la banque, un industriel, lui a suggéré de prendre contact avec un certain peintre qui a beaucoup de connexions avec le milieu judiciaire. On dirait qu’il n’attendait que cela. Congédiant les autres clients qui l’attendaient à la banque, « [i]l prit une voiture et se rendit immédiatement chez le peintre qui habitait dans un faubourg diamétralement opposé à celui des bureaux du tribunal. » Il croisa quelques fillettes dans l’escalier du bâtiment qui le conduisit au peintre. K. trouva l’aide du peintre Titorelli « pas plus problématique que celle de l’avocat ». Le peintre lui a fait valoir l’héritage de ses relations en tant que fils de « peintre du tribunal » ce qu’il est lui-même devenu également. Par rapport à son métier, il a droit aux confidences des fonctionnaires de la justice. Après tout, ne fait-il pas aussi partie du système judiciaire ? Comme la plupart des gens que K. rencontre d'ailleurs, même les petites filles qui l'ont emmené chez le peintre. Titorelli lui a fait savoir qu’il ne pourra arriver au bout de ce procès que par trois modes d’acquittement : « l’acquittement réel, l’acquittement apparent et l’atermoiement illimité ». « L’acquittement réel est évidemment le meilleur, mais je n’ai pas la moindre influence en ce qui concerne cette solution. Il n’y a personne à mon avis qui puisse déterminer un acquittement réel. C’est l’innocence de l’accusé qui doit seule le provoquer », confie Titorelli à son interlocuteur. Les deux autres formules paraissent plus accessibles pour K., « leur seule différence est que l’acquittement apparent réclame un effort violent et momentané, et l’atermoiement illimité un petit effort chronique ». En résumant le mode d’acquittement apparent, Titorelli dit à K., « ce mode d’acquittement vous soustrait provisoirement à l’accusation, sans l’empêcher de rester suspendue sur vous avec toutes les conséquences que cela peut entraîner s’il intervient un ordre supérieur » ; alors que « l’atermoiement illimité maintient indéfiniment le procès dans sa première phase ». Lors de l'analyse des propositions d'acquittement avancées par Titorelli, K. pouvait se rendre compte que son affaire était perdue d’avance et qu'il ne parviendrait jamais à atteindre cet « acquittement définitif » qu'il cherchait désespérément.

Ce récit expose l'absurdité d’un système judiciaire, démontrant ainsi les travers d'un monde socialement construit. Il met en évidence les incohérences entre le système judiciaire formel et la réalité de la justice. Il dessine les contradictions dans les procédés de la justice. Le personnage principal Joseph K. est inculpé pour un délit/un crime dont il n’a et n’aura pas connaissance. Finalement, l'issue de l'affaire de K., qui était alors en cours d'instruction, était un secret de polichinelle que tout le monde connaissait depuis le début à l’exception de l’accusé. La veille de son trente et unième anniversaire, par une nuit sombre, Joseph K. est emmené par deux hommes vêtus de redingote noir, très probablement des auxiliaires de la justice, dans un endroit désert et abandonné. Et là d’un coup de couteau dans le cœur, K. voit tout son espoir d’être acquitté s’en aller.

Le protagoniste, K., impuissant, se retrouve seul face à un système, la justice et sa bureaucratie, dont toute logique lui échappe. Il est confronté à une situation sans solution où toute logique rationnelle s'effondre, laissant place à la désillusion, au paradoxe et au désenchantement. Cette œuvre n’est-elle pas une mise en garde contre les dangers d’un monde dépourvu de justice et de logique ? L'incomplétude du Procès de Franz Kafka reste un puzzle énigmatique. Et si un vrai procès a eu lieu K. aurait-il connu un sort plus avantageux ?

Ce petit texte encourage à revenir à l'œuvre de Franz Kafka dans un monde qui perd ses repères, dans lequel la tentation est au totalitarisme, à la violation des droits fondamentaux et de la liberté d’expression. En revisitant Le procès, nous comprenons combien nos libertés sont fragiles et combien ils sont constamment objet de menace. À l’ère du néolibéralisme et du transhumanisme, bon nombre d’individus sont tentés à l’intégration des puces électroniques dans le corps humain pour mieux le surveiller et le contrôler. C’est le principe du « Surveiller et Punir » qui fait écho au titre éponyme de l’ouvrage de Michel Foucault. L’homme est chosifié et est transformé en vrai zonbi, ce que le philosophe camerounais Achille Mbembe désigne par l’expression « le devenir-nègre du monde ». « Animal parmi d’autres, il n’aurait aucune essence à protéger ou à sauvegarder. Il n’y aurait, a priori, aucune limite à la modification de sa structure biologique et génétique. (Mbembe) » Dans ce système de prédation, seuls comptent, l’économique et la finance quitte à réduire les citoyens en esclaves. Le renforcement militaire de la plupart des pays dans le monde témoigne de l’animosité entre les États. Les citoyens qui osent demander des comptes à leur gouvernement sont réprimés. Du citoyen, les gens sont devenus des sujets qui doivent obéir à la volonté des gens qui se sont érigés en super chefs. Échec de la démocratie ! Le procès de Joseph K. pourrait devenir notre procès à nous, peuples, gueux face au gouvernement mondial qui est en train de se mettre en place. C’est pourquoi il nous faut rester en éveil, garder un esprit critique, nous battre pour préserver nos valeurs fondamentales et ne pas nous laisser aveugler par des illusions.

 

Ethson Otilien

Cergy, le 1er août 2023

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