Commémoration du 86e anniversaire du massacre d'octobre 1937

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Dans la nuit du 2 octobre 1937 a débuté, sur ordre express du dictateur Trujillo, un génocide connu sous le nom de « Massacre du Persil ». Quelles sont les raisons véritables de cette épouvantable tragédie ? L'histoire rapporte que, suite à une réception offerte en son honneur à la résidence de Doña Isabel Mayer, alliée et porte-parole des grands dons dominicains de la zone, Trujillo prononça un discours haineux teinté de xénophobie, d'haïtianophobie où il invita les ultranationalistes dominicains en particulier à agresser ou assassiner en masse tous les Haïtiens travaillant ou vivant dans la zone. À travers ce discours considéré comme une invitation formelle à leur lynchage immédiat, il déclara ce qui suit :« J'ai appris que les Haïtiens volent de la nourriture et du bétail aux fermiers. Aux Dominicains qui se plaignent de ces déprédations de la part des Haïtiens qui vivent parmi eux, je réponds : 'Nous règlerons cette affaire.' D'ailleurs, nous avons déjà commencé. Environ trois cents Haïtiens ont été tués à Banica. Et nous devons continuer à résoudre ce problème ».[1]

 Il avait ainsi, par ce discours xénophobe et criminel, signé l'arrêt de mort de plus d'une trentaine de milliers de nos compatriotes. Quelques heures après son discours, a commencé, comme planifié,  le massacre à coups de machette de plus de 30 mille immigrés et ressortissants haïtiens par des soldats et civils dominicains. Ainsi,  vieillards, enfants, femmes, jeunes haïtiens, tous  ont été froidement assassinés, découpés à la baïonnette et à la machette. Un grand nombre d'Haïtiens périrent noyés en tentant de passer la rivière Massacre à la nage.

Les soldats dominicains et consorts ont exigé aux femmes d'écarter les deux bras, pour se faire enfoncer une fourche dans le corps. Même les bébés haïtiens ne furent pas épargnés, ils ont été saccagés, éventrés. Un sort horrible leur était réservé, car, « Les bébés furent pris par les pieds, avant d'avoir le crâne fracassé contre les murs des maisons. Certains sont envoyés en l'air pour être accueillis avec la pointe des baïonnettes. » [2]

Quelle a été la réaction des dirigeants politiques haïtiens d'alors ? Y a-t-il similitude entre la réaction des dirigeants politiques haïtiens de 1937  et celle des dirigeants politiques haïtiens actuels face à l'attitude belliqueuse d'Abinader dans le dossier de la construction du premier canal sur la rivière Massacre?  

De même que le gouvernement de Sténio Vincent n'a pas levé le petit doigt pour défendre véritablement les victimes haïtiennes du massacre inique d'octobre 1937 perpétré par le gouvernement dominicain, mais opta pour « une politique de compromission et de soumission face à Trujillo » ; le gouvernement d'Ariel Henry a agi pareillement dans le cas du dossier du canal. Le gouvernement de Vincent manifesta une  passivité inqualifiable devant ces injustices et ces atrocités dont étaient victimes nos compatriotes.  Son inaction  politique lors du massacre du Persil était parlante. Tout compte fait, il avait pratiquement abandonné les victimes dans  leur désarroi cherchant probablement de préférence à obtenir des gains personnels.

Force est de constater que,  86 ans après, ce comportement indigne des dirigeants politiques haïtiens n'a pas changé. Il suffit d'observer la réaction du gouvernement de facto d'Ariel Henry face à l'agression de Luis Abinader contre Haïti et notamment contre des paysans haïtiens à Ferrier, Ouanaminthe qui décident, envers et contre tout, de poursuivre la construction du canal d'irrigation.  Il convient de noter que la construction de ce canal d'irrigation s'inscrit dans l'application de l'article 10 du Traité de paix, d'amitié et d'arbitrage du 20 février 1929 conclu entre les deux pays et dans la dynamique de la conquête de notre souveraineté alimentaire, économique et politique.

En dépit de la conformité du projet avec ce traité et de sa nécessité pour la réduction de notre dépendance, le gouvernement en place n'a pas voulu, au départ, l'appuyer. Il a fallu la tenue de cette assemblée générale de l'ONU pour qu'Ariel Henry, convaincu de la détermination des paysans et de la dimension de l'élan de solidarité nationale suscité et surtout dans le souci de permettre sa rentrée dans le pays, fasse cet étonnant et incroyable revirement qui reste sans effet pratique jusqu'à présent.

Ainsi, les hésitations de l'actuel gouvernement haïtien de facto à accompagner normalement les paysans dans le travail de construction du canal face aux agressions répétées de Luis Abinader confirment la similitude entre la réaction de complicité, de soumission et compromission observée du côté du gouvernement de Vincent en 1937 et  du côté de celui d'Ariel Henry en 2023.  Le carnage ignoble commandité par le dictateur Rafael Leónidas Trujillo Molina et la fermeture unilatérale des frontières par Luis Abinader suivie du déploiement de l'Armée, s'inscrivent en même temps dans la  logique capitaliste néolibérale et la logique  raciste, xénophobe.

Quand on sait que les principaux  opérateurs dans l'agro-industrie dominicaine sont d'horizons divers : américain, français, espagnol et que Haïti est le quatrième importateur de riz américain, que le riz est la principale culture des paysans de la plaine de Maribahoux, ne peut-on affirmer que l'enjeu de la construction de ce canal va au-delà des intérêts de la République dominicaine et que ce ne sont pas seulement les Dominicains qui ont intérêt à tenter de bloquer sa construction ? La réalisation de ce canal ne remet-elle pas en question le néolibéralisme visant à casser tous les mécanismes de production devant nous permettre de reconquérir notre souveraineté alimentaire, économique, via la souveraineté politique ?   Ou encore ne conduit-elle pas également à la remise en question de la place réservée à  Haïti dans la division internationale du travail ?  Haïti doit continuer à être un simple marché où les producteurs américains, européens, dominicains et autres peuvent déverser leurs produits donc  point n'est besoin d'un canal qui va réduire progressivement la dépendance d'Haïti.

 02 octobre 1937 - 02 octobre 2023 : 86 ans après ce massacre horrible, des organisations haïtiennes se souviennent et organisent un sit-in devant les locaux de l'ambassade dominicaine ce 02 octobre 2023 ; Sit-in qui se veut un  acte commémoratif significatif concernant  cet événement tragique et traumatisant trop souvent occulté. Le Directoire du Combite des Organisations  populaires, syndicales  et politiques invite le public en général  et en particulier les organisations sociales, les partis politiques, tous/tes les citoyens/nes indignés/es à participer massivement à ce Sit-in de commémoration. Il s'inscrit dans l'accomplissement d'un devoir citoyen de mémoire visant à faire connaitre aux générations présentes ce qui était réellement arrivé pour mieux comprendre ce triste passé et la nécessité de construire un meilleur avenir pour les 2 peuples  et les conditions garantissant l'établissement de relations haïtiano-dominicaines correctes et d'une coexistence pacifique des deux peuples. C'est également l'occasion de rappeler que cet acte insoutenable doit continuer à interpeller aujourd'hui encore la conscience des peuples dominicain et haïtien qui doivent impérativement œuvrer ensemble pour que plus jamais de telles horreurs aussi traumatisantes ne se répètent plus.

Pour le Directoire du COMBITE :

 

Guy NUMA                                                                               Patrick JOSEPH

Jean-Paul BASTIEN                                                                  Josué MERILIEN

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