Conflits et diplomatie :

Les tergiversations de la diplomatie haïtienne

Après que le président dominicain Luis Abinader a érigé un mur séparant son pays d’Haïti, les dirigeants haïtiens ont-ils déjà porté plainte devant la Haute Cour de justice internationale, organe onusien chargé d’arbitrer les conflits entre les membres de cette organisation malheureusement devenue quasi inopérante depuis la fin de l’affrontement Est-Ouest.

Construire un mur frontalier équivaut à une déclaration de guerre diplomatique. Ceux qui dirigent le pays de Jean-Jacques Dessalines semblent ne pas comprendre que le président Abinader nous a déclaré la guerre. Seuls des États en conflit montent des murs, pour se protéger ou pour régler des différends internationaux ou territoriaux.  

Ce genre de mesure résulte d’une mésentente idéologique, politique, économique, diplomatique. Il peut aussi s’agir d’empêcher les infortunés en quête de mieux-être de franchir une frontière. La construction du mur de Berlin par les Soviétiques fut le symbole d’une ligne de démarcation de l’affrontement Est-Ouest. Celle du Maroc contre le Front Polisario - le plus vieux conflit au monde - vise essentiellement à empêcher les rebelles de pénétrer en territoire marocain.

De toute évidence, la diplomatie haïtienne n’a pas officiellement contesté la décision dominicaine. Le public n’a idée du nombre de réunions organisées par les diplomates haïtiens sur cette question, notamment les membres de la commission mixte chargée de s’occuper de tout ce qui relève des négociations entre les deux pays. On ignore si les membres de la coopération mixte haitiano-dominicaine ont publié des rapports pour faire le point depuis le début de la construction du mur. On ne sait pas non plus ce que recommandent les Haïtiens qui suivent pour le gouvernement haïtien le déroulement de la construction du mur.

Bref, on ne connaît pas les positions officielles de ceux qui nous dirigent, à part les soupirs d’impuissance poussés par les officiels alors que l’opinion publique haïtienne – et même dominicaine – a clairement pris position sur la question en protestant bruyamment contre cette décision injuste. Jusqu’à date, on n’a entendu aucune réflexion sérieuse sur le sujet.

L’absence flagrante d’initiative du côté haïtien saute aux yeux. On n’entend pas et on ne lit nulle part les arguments de ceux qui nous représentent. Il n’y a même pas un communiqué officiel, digne de ce nom, au point que l’œuvre malfaisante du Président dominicain passe dans l’opinion publique haïtienne, comme une initiative normale. Il faut le répéter jusqu’à ce que les sourds puissent l’entendre : la République dominicaine viole carrément le droit international en construisant un mur

 

Une diplomatie irresponsable

En République dominicaine, quelle que soit l’équipe arrivée aux affaires, elle trouve les 122 fonctionnaires chargés des dossiers haïtiens dans les ministères. Ils sont là depuis le Président Balaguer. Mais nous autres Haïtiens, irresponsables, nous ne pensons jamais à mettre sur pied une telle banque de données. Nous ne faisons que poser des actes inutiles et humiliants au nom de notre peuple. Sinon comment comprendre que parmi tous ces compatriotes diplomates, qui ont travaillé pendant des années sur les questions haïtiano-dominicaines, notre Premier ministre, dans un élan plutôt insensé, a choisi quelqu’un qui ne connaît rien aux relations entre les deux voisins, qui n’a jamais été diplomate dans sa vie, pour aller négocier sur un sujet qui par définition est très technique ? André Michel est un avocat doublé de politicien. Qu’on le laisse dans son domaine dans lequel il performait à merveille, mais de grâce pourquoi le déguiser en diplomate ?

Ariel Henry n’est pas à une fumisterie près. Au royaume du roi Henri, même un cireur de chaussures peut nous représenter n’importe où, à partir du moment où Sa Majesté en décide ainsi.

Là où nous envoyons des charlatans montrant une fois de plus notre manque de respect vis-à-vis du pays, la République voisine aligne dans ses administrations des spécialistes des affaires haïtiennes qui ont fait carrière. À l’instigation des parlementaires analphabètes, nous révoquons des diplomates de carrière pour mettre à leur place des sœurs, des frères, des maîtresses étrangers aux choses diplomatiques. Évidemment une telle diplomatie dépourvue de savoir-faire ne peut être en aucun cas efficace dans cette crise frontalière.

Si nous étions un peu sérieux et si nous respections nos compatriotes, celui qui devrait aller négocier en République dominicaine devrait être un des membres de la commission mixte haïtiano-dominicaine, à fortiori son président ou des membres de cette structure diplomatique. Mais au pays des improvisations permanentes, on peut sortir n’importe qui du chapeau. Pourvu qu’il ait la confiance du roi, il est devenu automatiquement diplomate. Nous sommes le seul pays au monde qui opère de cette manière au sein de notre diplomatie. C’est comme si ce pays n’a pas une tradition diplomatique et n’a pas de diplomates formés pour s’occuper d’un dossier technique. Nous avons une académie diplomatique, de surcroît l’INAGHEI, donc des gens bien formés, mais la perversité de nos improvisations diplomatiques fait qu’actuellement plus de soixante-dix pour cent du personnel diplomatique haïtien n’a aucune qualification, n’a jamais ouvert un livre sur la diplomatie, encore moins sur les relations internationales.

 

L’arme de la trahison

Comme toujours, nos dirigeants sont aux abois et dans l’improvisation pourtant nous avons une histoire qui nous dicte la ligne diplomatique à suivre, mais les autorités haïtiennes ont, ces trente dernières années, tout simplement abdiqué, pour enfourcher l’arme de la trahison. Tout cela par incompétence.

Demander au Kenya de venir occuper notre pays n’est ni plus ni moins une trahison. S’abstenir aux Nations-Unies lors d’un vote contre le racisme dans le monde est aussi une traîtrise. Nous allons de reniements en reniements et la construction du mur a au moins le mérite de nous faire prendre conscience que notre pays n’est pas dirigé. Du moins il l’est par des types qui ne pensent qu’à leurs petits intérêts mesquins. Notre indigence diplomatique est connue, car nous avions travaillé pour y parvenir depuis au moins quarante ans.       

Cette affaire du Kenya prouve une fois de plus que les élites dirigeantes haïtiennes sont capables de faire n’importe quoi. Les observateurs de la politique intérieure d’Haïti ont été stupéfaits de constater la légèreté avec laquelle un État décide de nouer des relations diplomatiques avec un autre pays.

Dans le cas du Kenya, c’est une honte nationale à plusieurs niveaux. Cinq constats choquent la conscience haïtienne eu égard à notre histoire. 1) Aucun Haïtien ne vit au Kenya. 2) C’est un pays anglophone qui ne représente aucun intérêt pour nous, encore moins économique. 3) Nouer des relations diplomatiques de circonstance avec un pays est un mauvais exemple prouvant que nos dirigeants  sont toujours dans l’improvisation.

Dans le temps, Haïti avait fermé d’une manière unilatérale ses ambassades en Afrique du Sud, au Bénin et au Sénégal pour des raisons pécuniaires. Notre diplomatie s’installe au Vietnam aux dépens de l’Afrique de nos ancêtres. Bref c’est un vrai merdier où chaque ministre défend son petit territoire.

Les autorités haïtiennes ont même installé un consulat général de la République d’Haïti dans un désert de sable au Sahara occidental juste pour faire plaisir à leurs tuteurs. Aujourd’hui, on sait que pour une telle opération, le Maroc avait graissé les pattes des types qui ont monté une opération diplomatique aussi honteuse. D’autant plus immorale que c’était avec l’Algérie que nous avions dans le temps de bonnes relations, pas avec le Maroc. Bref, Haïti a abandonné ses amis pour se réfugier dans les bras d’un État avec lequel il n’a auparavant aucune relation diplomatique, par pure corruption.

L’ancien ministre des Affaires étrangères, Claude Joseph, qui ne voyait que ses poches pleines lorsqu’il pense la diplomatie haïtienne, a ouvert sans la moindre réflexion une ambassade ainsi qu’un consulat général dans un pays où il n’y a pas cinquante ressortissants haïtiens. On sait que cette mesure vient de ce que ce fonctionnaire n’a jamais jeté un œil sur l’histoire diplomatique d’Haïti avant de poser des actes. D’où pourquoi son soudain nationalisme face à la situation en République dominicaine ne tient pas et il faut sereinement lui rappeler ses palinodies contre son pays. La trahison face au Venezuela pour faire plaisir à un anti-haïtien notoire, l’ex-président américain Donald Trump, devrait sceller la carrière politique de monsieur Joseph. Nous sommes en Haïti où le plus souvent ceux qui ont trahi ce pays ou qui ont organisé la corruption à grande échelle parlent non seulement plus fort que les autres, mais qui pis est, on l’applaudit. Par ailleurs, il avait donné l’ordre formel à notre représentant aux Nations Unies de s’abstenir de voter une résolution contre les violations des droits de l’homme et du racisme dans le monde, toujours pour faire plaisir.

 

Népotisme

Les improvisations diplomatiques d’Haïti sur la scène internationale sont liées avec la corruption dont la diplomatie haïtienne est atteinte de plein fouet avec les conséquences que l’on sait : les humiliations de nos compatriotes à l’étranger ne sont que la partie visible de l’iceberg.

La double crise, celle de la rivière Massacre et de la construction de mur, montre que l’État haïtien ou ce qu’il en reste, n’a pas un avis fondé sur ces dossiers importants, faute de fonctionnaires habitués des arcanes diplomatiques entre les deux pays. Notre diplomatie s’occupe d’autres choses au lieu de penser pour le pays.

D’ailleurs un rapport a démontré qu’au cours de ces vingt dernières années, 90% des diplomates haïtiens envoyés en République dominicaine ainsi que les employés de cette Ambassade étaient choisis en fonction de leur parenté avec les pontes au pouvoir, népotisme oblige. Ce même rapport souligne que plus de la moitié des diplomates au sein de notre ambassade à Santo Domingo sont incapables de collecter des informations pour rédiger un rapport.

Face au voisin, nous sommes démunis, désorganisés, irresponsables à force de faire la promotion à gogo des médiocres. Là où il y avait quelques années une diplomatie plus ou moins fonctionnelle, en trente ans, notre manie de tout écrabouiller a pris le dessus, au point que certains ministres des Affaires étrangères ont révoqué des compétents pour mettre des analphabètes notoires. Nous sommes encore le seul pays qui pose des actes aussi graves avec autant de détermination, sans souci pour l’avenir du peuple.

 

Maguet Delva

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