La vie ou la mort

À n’en point douter, la République d’Haïti traverse actuellement la pire crise de son histoire. Un marasme qui affecte l’État dans toutes ses composantes. Et comme si cela ne suffisait pas, actuellement le pays est confronté à une grave crise avec son voisin la République dominicaine !

L’historien Alix Mathon, dans une analyse sur le parcours sinueux de la Première République Noire du Monde, explique : « Haïti fut un accouchement prématuré, avant terme, et au forceps. Ce pays est né dans la violence, à l’arraché. Les fers l’ont marqué. Le nouveau-né eut les membres brisés à l’opération. Et l’adulte traine encore l’infirmité. » C’est dire que la création d’un État se trouvant dans une telle situation de déficience et de délabrement, dans un climat d’hostilité qu’entretenaient les puissances esclavagistes de l’époque, relevait du prodige. Et pourtant, poussés par une aspiration inébranlable à la liberté, nous les Haïtiens l’avons fait, défiant alors les forces conservatrices de l’époque dont les intérêts étaient directement menacés par cette révolution inédite d’esclavage noir.  Grâce à la détermination d’une population qui ne jurait que par la notion de :   ÌŽ Liberté ou la mort ÌŽ, tout retour en arrière paraissait vouer à l’échec. Ainsi, sous les boulets et la mitraille Haïti avait pris naissance.

Toutefois le plus dur restait à faire. Comme dit un dicton créole : « Mennen koulèv la lekol se youn, fel’l  chita se de ».

 Les premiers vagissements de la Nation haïtienne furent des plus douloureux et des plus périlleux, car mettant à nu toutes les contradictions et les dissensions qui se dissimulaient sous le noir manteau   de certains Généraux de l’armée indigène. D’un comportement digne et élogieux, sur le champ de bataille, au cours de la guerre de l’Indépendance, ils se sont laissés aveugler par l’ambition du Pouvoir en ourdissant un complot d’assassinat contre leur commandant en chef, le Général Jean Jacques Dessalines. Cette veule entreprise aboutit malencontreusement à la mort de l’Empereur et plongea le pays dans une profonde instabilité politique et sociale. Ce qui eut pour conséquence la scission du territoire en trois Républiques : Pétion dans l’Ouest, Christophe dans le Nord et Geffrard dans le Sud. 

C’est depuis lors que le radieux soleil, qui illuminait de mille feux l’État -providence d’Haïti, s’assombrit pour mettre à jour les disparités et les contentieux existants entre les masses populaires et les nouveaux dirigeants, véritables bénéficiaires de la révolution de 1803. Une révolution qui annonçait des changements en profondeur au bénéfice de tous ceux qui croupissaient dans une pénible situation d'esclavage depuis plus de trois siècles. De ce grand chambardement qu’en est-il sorti ? Les cris de colère de Jean Jacques Dessalines : « Et les pauvres noirs, dont les parents sont restés en Afrique, n’auront-ils rien ? » résonnent encore et alertent la société haïtienne avec son assourdissante clameur de justice. 

Pour replacer la Nation à la place d’honneur et de dignité où l’avaient hissée nos Aïeux, nous sommes contraints de remonter le temps et de reprendre l’histoire là où elle a été court-circuitée, le 17 octobre 1806. Cela nous permettrait de regarder en toute lucidité notre propre réalité et celle d’un monde qui bouge à toute allure, dans lequel nous risquons d’être de plus en plus isolés. Pour éviter un tel revers de l’histoire il importe de prendre acte de notre bilan d’échec, de corriger nos erreurs et de nous atteler à reconstruire un pays débarrassé des scories qui handicapent son développement.

 L’un des torts les plus flagrants à réparer est de rétablir dans l’équité le droit des descendants des « va-nus pieds de 1803 » dont les pères ont été au premier rang des combats pour l’indépendance. Jusqu’à nos jours, ces « déshérites du sort » continuent de porter le pays à bout de bras sans jamais recevoir la moindre rétribution pour leur harassant labeur. Les privilégiés de notre société devraient leur adresser un sincère mea-culpa. 

 Dans un tel contexte, il nous faut repartir d’un pas plus assuré dans une société plus juste où devrait régner « L’unité dans la diversité », comme nous l’avait prescrit notre devise nationale « L’union fait la force », lors de l’épopée de 1803. C’est le seul moyen de parvenir à une Haïti libre et prospère. C’est notre seule planche de salut.

 

Robert Paret Sr.

Septembre 2023

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