Séisme politique en France

La récente percée du Rassemblement National (RN) en France, avec ses plus de 32% des voix, sous la direction de Jordan Bardella, marque un tournant historique de la politique française. Et même européenne. Pour la première fois depuis l'entre-deux-guerres, la perspective d'un gouvernement d'extrême droite en France devient une réalité palpable. D’aucuns parlent déjà de régression historique.

Il faut remonter aux années sombres de l'entre-deux-guerres pour trouver en France un gouvernement professant des idées aussi extrémistes, nationalistes fascistes, racistes de manière aussi viscérale. D’ailleurs, le FN fut créé en 1972 par des jeunes du « nationalisme révolutionnaire » du mouvement Ordre nouveau, héritier du néofascisme en Europe et du maréchal Pétain qui avait collaboré avec l’Allemagne. À cette époque, le régime a envoyé des milliers de Français d'origine juive dans les camps de concentration, où beaucoup ont trouvé la mort. L'ascension du RN, un parti ouvertement raciste, rappelle ces heures tragiques et soulève des inquiétudes légitimes quant au respect des droits de l'homme et des valeurs démocratiques en France.

On se souvient avec émoi que dans le programme politique du Front National, ancêtre du RN, il était  d’expulser les étrangers vivant en France et ce depuis 1970. Par ailleurs, ce même parti avait inscrit dans son programme la fin automatique de la nationalité française pour les enfants d’étrangers nés sur le territoire national. Une mesure typiquement fasciste qui consiste à faire d’eux des étrangers dans leur propre pays.

Depuis quelques temps, Marine Le Pen, fille du fondateur du parti, Jean-Marie Le Pen, s’est lancée dans des campagnes de communication tonitruantes visant à laver le nom du parti de sa couleur brune. Cette campagne de dédiabolisation semble être une réussite puisque le raz-de-marée électoral de ce parti est là papable et se confirme à chaque élection depuis les années 2000.  Plus en plus de Français adhèrent au programme politique du RN.  On l’a vu aux élections européennes et maintenant, au premier tour des législatives du 30 juin 2024.

Ces dix dernières années, le parti d’extrême-droite ne fait que gagner du terrain. Pour la première fois, il a trouvé un écho favorable à droite. Au point d’affirmer que la droite républicaine gaulliste a volé en éclats, car  le Président des Républicains, Eric Ciotti, décide de faire alliance avec le RN. Ce qui a provoqué une crise majeure au sein de ce parti. Les différentes instances de cette formation politique ont demandé son départ à la tête de celui-ci pour trahison.

Depuis, le parti de Nicolas Sarkozy, de Jacques Chirac ne cesse de se diviser. Des chapelles se forment et des gaullistes ne se parlent plus. Le RN National a donc un terrain propice qui permet à  son électorat de croître : le fameux « cordon sanitaire » - nom donné par la droite gaulliste au barrage contre l’extrême droite - est rompu. Cependant reste à savoir si un gouvernement RN sera capable de gouverner, car le pays a une histoire, une économie et des réalités géopolitiques et internationales qui n’ont rien à voir avec le programme réducteur de l’extrême droite basé sur l’exclusion d’une partie de la population française.

 

Méfaits possibles

Un RN au pouvoir aurait des conséquences désastreuses sur l'influence diplomatique de la nation. Traditionnellement, la France a joué un rôle de premier plan dans l'Union européenne, défendant des politiques progressistes et des valeurs de tolérance et de coopération. Un gouvernement d'extrême droite en France isolerait le pays de ses partenaires européens et affaiblirait sa capacité à influencer les politiques de l'Union.

Les relations franco-allemandes, pilier de l'UE, seraient particulièrement affectées. L'Allemagne, sous la direction de gouvernements modérés, pourrait trouver difficile de collaborer avec un régime français prônant des idées xénophobes et nationalistes. Cette fracture pourrait conduire à une paralysie décisionnelle au sein de l'UE et affaiblir l'unité européenne face à des défis globaux majeurs tels que le changement climatique, les crises migratoires et les tensions géopolitiques.

Sur la scène mondiale, la France avec un gouvernement RN perdrait de sa crédibilité et de son influence dans le monde. Les alliances stratégiques, notamment avec les États-Unis, le Royaume-Uni, et d'autres démocraties occidentales, seraient mises à rude épreuve. Les partenaires internationaux de la France pourraient se montrer réticents à coopérer avec un gouvernement perçu comme raciste et intolérant.

En outre, la capacité de la France à jouer un rôle de médiateur dans les conflits internationaux serait sévèrement compromise. L'image de la France comme défenseur des droits de l'homme et de la diplomatie multilatérale serait ternie, réduisant son rôle dans les institutions internationales comme les Nations Unies et l'OTAN.

 

Déroute morale

La montée du RN est également symptomatique d'une déroute intellectuelle, voire morale en France. La progression d'idées extrémistes et la polarisation politique indiquent une perte de confiance dans les institutions démocratiques. Cela reflète une crise de l'éducation et de l'information, où la désinformation et la manipulation de l'opinion publique par les populistes prennent le dessus. Si le Rassemblement nationale (RN) parvient à former un gouvernement la semaine qui vient en France, le pays de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen serait d’emblée descendu de son piédestal du pays phare en matière de sauvegarde des droits humains justement. La France pourrait être contrainte de renoncer à certains principes fondamentaux issus de la Révolution française. Les idéaux de liberté, d'égalité et de fraternité, qui ont façonné l'identité nationale et inspiré les luttes pour les droits de l'homme dans le monde entier, seraient mis en péril. Un gouvernement dirigé par un parti ouvertement raciste et xénophobe compromettrait ces valeurs, s’il met en application les politiques discriminatoires à l’égard des personnes issues de l’immigration ou celles dont les enfants sont nés en France.

On peut déjà parler de séisme politique aux implications graves. Un gouvernement d'extrême droite isolerait la France de ses partenaires européens, affaiblirait l'unité de l'UE, et réduirait l'influence française sur la scène internationale. Plus qu'une simple élection, il s'agit d'un défi fondamental aux valeurs démocratiques et aux principes de justice et d'égalité qui ont longtemps guidé la politique française.

Il est crucial pour la France de retrouver son chemin, de renforcer ses institutions démocratiques et de renouer avec les valeurs de tolérance et de coopération qui ont fait sa grandeur. Le 7 juillet 2024 pourrait marquer une date charnière dans l'histoire de la France. Ce tournant politique n'est pas seulement un choc électoral, mais une crise existentielle pour le pays des droits de l'homme, héritier des idéaux de la Révolution de 1789.

La montée en puissance du RN reflète un profond malaise sociopolitique et une division croissante au sein de la société française. Les manifestations contre la perspective d'un gouvernement RN, bien que fréquentes, semblent dérisoires face à la profondeur des divisions sociales et politiques en France. Le pays est fracturé sur toutes les lignes : sociales, économiques, et culturelles. Certains analystes craignent même le risque d'une guerre civile si le RN arrive au pouvoir, tant les tensions sont vives. Cette polarisation extrême risque de paralyser le pays et d'engendrer des violences internes sans précédent. Le président Emmanuel Macron, comme Jacques Chirac en 1997, a échoué à contenir la montée des extrêmes. Son parti, qui a changé de nom à plusieurs reprises, une stratégie confuse et inefficace, n'a obtenu que 11% des voix. Cet échec est le reflet d'une désillusion croissante envers les élites politiques traditionnelles, perçues comme déconnectées des réalités quotidiennes des citoyens.

 

Le peuple de gauche, l’espoir ?

Du côté de la gauche, le score est inférieur à celui du RN mais quand même conséquent avec plus de 29 % alors tandis que la majorité présidentielle n’a obtenu que 11% des voix. La coalition de gauche est face à l’extrême droite et la majorité présidentielle qui n’en est plus une. Pour décrédibiliser la gauche, on fait courir le bruit que Jean-Luc Mélenchon et son parti la France insoumise (LFI) seraient d’extrême gauche et antisémites. Premièrement, celui-ci a fait toute sa carrière politique au Parti socialiste en qualité de ministre, député et sénateur. Il fait partie de ceux qui n’avaient pas accepté le traité de Maastricht en 1993 qui avait provoqué une cassure idéologique entre François Mitterrand et une partie de la gauche française. Jean-Luc Mélenchon n’est pas non plus un raciste encore moins un antisémite. Ce sont les médias d’extrême droite comme BFMTV qui colportent ce genre de non-sens. D’ailleurs dans la classe politique française, il est le seul à avoir une bonne connaissance des relations franco-haïtiennes et qui critique régulièrement l’exploitation des richesses du continent africain par les firmes multinationales occidentales. Possédant une vaste culture dans le domaine des relations internationales, le leader des Insoumis s’insurge contre la guerre que mène le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou contre les Palestiniens, il pourfend à tout bout de champ le génocide qui est en cours à Gaza.

On verra au soir du 7 juillet 2024 qui dirigera la cinquième puissance économique mondiale ? Si l’extrême droite et la France insoumise sont presque au coude à coude, c’est la France insoumise qui a plus de réserves de voix à gauche grâce à sa capacité à fédérer une large coalition de la gauche, des écologistes et des électeurs anti-RN. Sa capacité de mobilisation au second tour est cruciale. LFI pourrait bénéficier d'une dynamique de vote utile anti-RN, rassemblant une coalition plus large que celle du premier tour. En revanche, le RN, bien que bénéficiant d'un électorat solide et fidèle, pourrait voir ses réserves de voix limitées par la répulsion qu'il suscite chez une partie importante de l'électorat français et par son caractère polarisant et l'opposition farouche qu'il suscite. Toujours est-il que la mobilisation des électeurs sera déterminante pour le résultat final.

 

Maguet Delva

Paris, le 1er juillet 2024

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES