Alors que le système éducatif haïtien continue de souffrir de profondes inégalités, d’un sous-financement chronique et d’un pilotage défaillant, l’ouvrage du professeur Yves Roblin « COVID-19 et les outils de planification du secteur d'Éducation en Haïti » paru depuis janvier 2022 chez Toussaint, jette les bases d’un projet social-plan, top down, égalitaire et inclusif. En proposant un plan éducatif structuré, un parc éducatif articulé à un système dual et une carte scolaire cohérente, ce document de référence de 284 pages, ambitionne de faire de l’éducation haïtienne une véritable clef de voûte du développement national en se penchant sur la condition des enseignant.e.s. Cet article se propose, à travers l'Approche Roblin, de montrer les efforts que font les décideurs du système éducatif pour offrir une éducation équitable à la population haïtienne.
Un plan éducatif de rupture, pensé pour l’équité et l’efficacité
« L’État haïtien a fait des bonds de géant en matière de scolarisation universelle », écrit Monsieur Roblin dans sa radiographie du secteur à l’an T. Cette avancée, qui se traduit par un taux net de scolarisation de 88 % (p. 238) masque toutefois des failles structurelles profondes. Ce qu'il appelle « Simulation d'un Plan d'Éducation pour 2054 en Haïti » et ambitionne de combler (chp. XIX, pp. 234-244). Voilà où réside la première raison d'enchérir le livre proposé au grand public par le Directeur Général du MENFP.
Ce plan, loin d’être une simple projection technocratique, repose sur une logique de transformation systémique. Il propose des orientations concrètes pour améliorer l'accès, la qualité et la gouvernance de l’éducation en Haïti. L'auteur, M. Roblin, appelle notamment à une réallocation du budget national, qui, dès lors était inégalement réparti entre les niveaux d’enseignement, et recommande d’élever à 6 % la part du PIB consacrée au secteur éducatif, dans la lignée des standards de l’UNESCO .
De plus, l'actuel Directeur Général du MENFP, Monsieur Roblin, insiste sur la rationalisation de l’offre scolaire « l’accès est limité au secondaire (25 %), au niveau de l’enseignement professionnel et à la formation professionnelle », souligne-t-il (p.338). Cela implique une transformation ambitieuse du paysage éducatif haïtien avec des mécanismes de pilotage, de financement et de supervision repensés. Dit autrement c'est une stratégie technique qui peut se trahir en ne pas remettre à deux mains ce qu’on peut faire d’une seule. Une stratégie qui semble résumer l’appel à une réforme immédiate, lucide et centralisée.
Un parc éducatif national fondé sur un système dual inclusif
La deuxième raison réside dans le plan Roblin qui se distingue également par sa proposition innovante de créer un « parc éducatif à système dual pour résorber le chômage des diplômés », un réseau d’établissements intégrant à la fois l’enseignement général et la formation professionnelle (chap. XI, pp. 139-146). Cette vision hybride de top down entend briser le mythe de l’unique voie académique et valoriser les compétences techniques, en phase avec les réalités économiques locales.
« Le rendement externe est très faible si l’on tient compte du taux de chômage des diplômés », déplore l’auteur, qui pointe la déconnexion alarmante entre formation et emploi (p.339). En réponse, il envisage un modèle éducatif inspiré du système dual germanique — alternance entre école et entreprise — afin d’outiller la jeunesse pour le marché du travail, tout analysant ses avantages et ses limites (pp. 141-143 et passim).
Une telle refonte suppose aussi un rééchelonnement des investissements éducatifs, car, comme le rappelle L'actuel DG du MENFP, les parents d’élèves injectent chaque année plus de 3 milliards de dollars US dans l’économie éducative, souvent sans garantie de retour tangible (p.238 et passim).
Ce système dual permettrait également d’abaisser le taux de décrochage scolaire en offrant aux jeunes une voie de valorisation concrète et professionnalisante, notamment dans les zones périurbaines et rurales où le système traditionnel a atteint ses limites. D'où, en construisant ce double système, « on ne met plus tous ses œufs dans le même panier », mais on diversifie les chemins vers la réussite (pp. 238-239 et passim).
Une carte scolaire dynamique pour un pilotage équitable du territoire, le pilier de l’Approche Roblin
Le dernier pilier de l’Approche Roblin est la mise en place d’une « carte scolaire » intelligemment conçue pour garantir une répartition cohérente des infrastructures éducatives, tenant compte des disparités régionales (Chap. III, pp. 41-68). « Les écoles sont disséminées sur le territoire… mais la supervision est très limitée, parfois un (1) inspecteur pour 30 écoles », dénonce-t-il en s'assurant qu'il travaille d’arrache-pied là-dessus (p. 239).
Ce constat appelle à une réorganisation spatiale et fonctionnelle de l’éducation en Haïti. Ce que l'approche Roblin appelle une école de proximité. Le projet inclut : a) l’actualisation des données scolaires, pour alimenter un Système d’Information de Gestion de l’Éducation (SIGE) à travers l’Unité du Système d'Information (USI) performant pour une planification d'éducation informatisée (Chap. VIII, pp. 115-121); b) La cartographie des centres préscolaires, publics et privés, par département ; c) une redéfinition des bassins scolaires en fonction de la démographie et des conditions de transport (p. 238 et passim).
Ce faisant, l’objectif devient double : primo, c'est d’assurer l’équité d’accès à l’école, particulièrement dans les zones défavorisées; et, secundo, c'est de renforcer les mécanismes de supervision, aujourd’hui quasi inexistants. En alignant l’offre éducative sur les besoins locaux, l'Approche Roblin, à travers la Carte scolaire donnera sens bottom-up à la planification territoriale de l’éducation (pp. 238-239 et passim).
« La non-fonction de l’entité de suivi et d’évaluation interpelle les décideurs », écrit le Directeur Général de l'Éducation en Haïti, M. Roblin (p. 239). En contrepartie, il plaide pour une gouvernance éducative fondée sur l’évidence, loin de l’improvisation actuelle. D'où, en déployant rationnellement les écoles, l’État, à l'approche Roblin, éviter coûte que coûte de « courir plusieurs lièvres à la fois sans en attraper aucun ».
Vers une refondation nationale par l’éducation
Lire le Plan 2054 du professeur Yves Roblin, c’est avant tout plonger dans une vision structurée, top down and bottom-up et réaliste de l’avenir éducatif haïtien. Loin des diagnostics stériles, cet ouvrage propose des pistes concrètes et audacieuses, en analysant les différentes réformes de l'éducation nationale d'Haïti, notamment, la réforme Bernard de 1979, le plan éducatif 1997-2007 celui de J.E. Alexis et Paul A. Bien-Aimé, le plan Manigat (2015), celui de Pierre J. A. Cadet (2020), etc., pour redonner à l’éducation son rôle de levier de justice sociale, de croissance économique et de cohésion nationale.
Entre planification stratégique, inclusion territoriale et réforme pédagogique, ce texte est un instrument précieux pour les décideurs, les partenaires internationaux et les citoyen.ne.s engagé.e.s. Car comme le déclarait Victor Hugo lors de son discours à l’Assemblée législative en 1849 « je veux que l’on dise qu’un jour où la France aura mis 300 millions à l’instruction, elle n’en mettra plus 300 millions aux prisons » (Actes et paroles – Pendant l’exil, Michel Lévy frères, 1876, p. 146).
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Formation : Sciences Juridiques/FDSE, Communication sociale/Faculté des Sciences Humaines (FASCH), Masterant en Fondements philosophiques et sociologiques de l’Éducation/ Cesun Universidad, California, Mexico.