Dans une présentation YouTube stupéfiante qui ressemble plus à un acte d’accusation qu’à une déclaration politique, le Ministre de l’Éducation d’Haïti, Antoine Augustin, a livré une évaluation dévastatrice du système même qu’il dirige—tout en évitant ostensiblement toute responsabilité personnelle pour son effondrement.
Un système en chute libre
Les mots d’Augustin dressent le tableau d’un effondrement éducatif complet : « Gangs ap fleuri e etidyan yo fou, lekol la efondre lontan. Pa gen lwazi, pa gen oken lót activité pou etidyan yo. Lekol la kraze» (Les gangs fleurissent et les étudiants sont fous, les écoles se sont effondrées depuis longtemps. Il n’y a pas de loisirs, pas d’autres activités pour les étudiants. L’école est détruite). Ce n’est pas simplement une critique—c’est l’admission que sous sa direction, les organisations criminelles ont remplacé les institutions éducatives comme influence principale sur la jeunesse haïtienne.
L’évaluation du ministre devient plus accablante lorsqu’il continue : « Lekòl yo kraze e tout timoun yo fou » (Les écoles sont détruites et tous les enfants sont fous). Pourtant, nulle part dans sa condamnation générale, Augustin ne reconnaît son rôle en tant que personne responsable de prévenir exactement ce scénario.
La taxe qui n’a rien construit
Ce qui est peut-être le plus révélateur, c’est la reconnaissance par Augustin d’une trahison fondamentale. Malgré la taxe de 1,50 $ collectée sur chaque transfert d’argent de la diaspora haïtienne—des fonds spécifiquement destinés à l’éducation—le système reste « principalement privé ». Des années de taxation n’ont produit aucune infrastructure d’éducation publique significative, laissant les familles payer deux fois : une fois par les taxes de la diaspora et encore par les frais d’école privée qu’elles ne peuvent pas se permettre.
« En termes d’éducation de qualité, c’est un gaspillage d’argent », déclare Augustin, « et nous ne devons pas être surpris de voir beaucoup de jeunes dans les gangs ». Cette déclaration est particulièrement frappante venant du ministre dont le département devrait s’assurer que l’éducation ne soit pas un gaspillage d’argent. Le non-fonctionnement des écoles est devenu « un centre de reproduction pour le recrutement des gangs »—un résultat direct du vide éducatif que son ministère a échoué à combler.
Blâmer sans responsabilité
Dans ce qui ne peut être décrit que comme une abdication extraordinaire du leadership, Augustin répand le blâme partout sauf dans son propre bureau. «Kanpe la! Fók nou rebat kat la » (Arrêtez-vous! Il faut qu’on rebatte les cartes), plaide-t-il, comme s’il était un observateur extérieur plutôt que la personne qui tient les cartes.
Sa critique s’étend aux échecs systémiques qu’il supervise : des étudiants atteignant des niveaux scolaires incompatibles avec leur âge, des normes éducatives qui n’existent que sur papier, et un effondrement complet de la progression académique. Pourtant, ce sont précisément les questions que son ministère existe pour traiter et réguler.
Un lapsus freudien du leadership
Le plus révélateur, Augustin invoque le « Malaise dans la civilisation » de Freud pour expliquer la société haïtienne : « Ti moun an paka aprann, yo dekonstri, lekol la pa montre yo anyen, yo kite lekol » (Les enfants ne peuvent pas apprendre, ils sont déconstruits, l’école ne leur montre rien, ils quittent l’école). Cette analyse psychologique pourrait être perspicace venant d’un universitaire, mais venant du ministre responsable de s’assurer que les enfants puissent apprendre, cela sonne comme une excuse élaborée.
Son évaluation devient plus apocalyptique : « Les parents sont aussi fous comme leurs enfants. Nous avons des gens, jeunes et vieux qui sont fous, désespérés, disloqués et perdus comme nos territoires perdus ». Encore une fois, une observation clinique du fonctionnaire même dont les politiques devraient prévenir un tel effondrement social.
L’aveugle guidant l’aveugle
Dans ce qui est peut-être sa déclaration la plus audacieuse, Augustin déclare : « L’élite haïtienne est aveugle et sourde aussi. Elle ne voit rien pas même le language du changement ». Ceci venant d’un homme qui fait lui-même partie de cette élite, servant dans un gouvernement qui a supervisé l’effondrement complet de l’éducation publique.
Le problème de tout le monde sauf le sien
La dernière déflection d’Augustin est peut-être la plus révélatrice : « La condition de l’éducation ne concerne pas seulement l’état mais la société en général… les journalistes, les parents, les enseignants ». Bien que le soutien sociétal soit effectivement crucial, cette déclaration du Ministre de l’Éducation sonne remarquablement comme une personne essayant de distribuer le blâme pour ses propres échecs institutionnels.
Son refrain répété « Lekol la kraze, Lekol la kraze » (L’école est cassée, l’école est cassée) devient presque comique quand répété par la personne dont le travail est de réparer les écoles.
Un avenir sombre prédit
Augustin avertit de conditions qui s’aggravent « sans une réponse rapide de la société, pas seulement du gouvernement dont il fait partie ». Cette prédiction de malheur de quelqu’un en position de l’empêcher soulève des questions inconfortables : Est-ce un aveu d’incompétence ? Un mea culpa déguisé en commentaire social ? Ou peut-être, plus cyniquement, est-ce un ministre se positionnant comme lanceur d’alerte d’un système qu’il dirige ?
Le ministre-observateur
Tout au long de sa présentation, Augustin parle comme s’il était un universitaire préoccupé étudiant la crise éducative d’Haïti plutôt que le fonctionnaire gouvernemental ayant le pouvoir et la responsabilité de l’aborder. Son détachement clinique des problèmes qu’il devrait résoudre révèle soit une conscience de soi stupéfiante, soit un manque de responsabilité à couper le souffle.
Conclusion : leadership sans responsabilité
La confession YouTube d’Antoine Augustin offre un aperçu rare de l’esprit d’un leader défaillant qui voit tout clairement sauf son propre rôle dans le désastre. Son diagnostic précis de l’effondrement éducatif d’Haïti pourrait être louable s’il venait de quelqu’un d’autre que le Ministre de l’Éducation.
Bien qu’Augustin identifie correctement les problèmes—le recrutement de gangs en l’absence d’écoles, l’argent des taxes gaspillé, les institutions brisées, les familles désespérées—il n’offre aucune solution, aucune responsabilité, et aucun sens qu’il porte une quelconque responsabilité pour la crise même qu’il décrit si éloquemment.
Ses mots servent à la fois d’acte d’accusation accablant du système éducatif d’Haïti et d’aveu involontaire de son propre échec à le diriger. En cherchant à blâmer tout le monde, des parents aux journalistes, Augustin révèle la pauvreté du leadership qui a permis aux écoles d’Haïti de devenir « lekol kraze »—et à ses enfants de devenir les victimes d’un système dirigé par des fonctionnaires qui observent son effondrement plutôt que de l’empêcher.
La prophétie sombre du ministre pourrait effectivement se réaliser, mais pas à cause d’un échec sociétal—à cause d’un leadership qui confond observation et action, analyse et responsabilité, confession et compétence.
Pierre Richard Raymond
Educateur, auteur -poète
18 Aout 2025, New York, USA