Le coordonnateur du conseil présidentiel de transition, Laurent Saint-Cyr a pris sa plume, le 26 novembre 2025, comme on plante un drapeau au sommet d’une colline incertaine. Il écrit aux membres du CPT. Non pas pour ajouter un sombre chapitre de plus au grand roman tragique ou à l’épopée historique des tensions politiques, mais pour tenter — encore une fois — de leur apprendre l’art oublié de respirer ensemble. Il parle d’unité faufilée. Il parle de sagesse incarnée des Dieux de l’arène politique. Ces deux créatures mythiques que l’on évoque souvent dans les pages d’histoire de la gestion de la Res publica. Que l’on invoque pourtant rarement chez nous et que l’on pratique presque jamais.
Dans les couloirs en mode silo lalie de la transition, certains mijotent déjà une idée aussi explosive qu’un pétard dans une boîte de cierges : révoquer le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé. Un coup de balai, disent-ils. Un sursaut nécessaire, affirment-ils. Une correction politique, pensent-ils en secret. Mais en bon capitaine, M. Saint-Cyr, le président du CPT, dit non. Non aujourd’hui. Non demain. Non c’est non. Non à deux mois du 7 février. Non au chaos en solde, surtout quand la crise en circulation est déjà d’une grande qualité et redondante.
Il a essayé le dialogue. Le dialogue a toussé un peu, grincé beaucoup, mais il a marché. À moitié. Et pour lui, ce « moitié » vaut de l’or. Le gouverneur de la barque du CPT, M. Saint-Cyr voit un verre à moitié plein là où d’autres voient une moitié vide avant même qu’on ne leur serve quoi que ce soit. Il préfère l’optimisme lucide au catastrophisme spontané de l’heure, semble-t-il. Ne pas tout chambouler, dit-il. Ne pas faire trembler les murs de la saison de blé, alors que le toit tient encore par miracle. Ne pas renverser le petit fleuve tranquille qu’il tente de tracer, en funambule politique, au-dessus d’un BC-bas de méfiance.
Il y a un fleuve. Minuscule. Mais fragile. Encore timide. Mais un fleuve quand même. Une conversation continue. Une poignée d’accords, quelques silences qui ne sont pas des ruptures mais des respirations pour la continuité de l’État, malgré son état… En tout cas, c’est un filet d’eau dans la poussière politique. Le représentant du secteur privé, M. Saint-Cyr y croit. On ne trahit jamais ses amis en politique. Il demande qu’on cesse de jeter dans des pierres de jalousie, de frustration ou d’ambition.
Mais la politique en Ayiti a cette manie de tourner la chaise bourrée du pouvoir : dès qu’un fleuve apparaît, certains accourent avec des bulldozers. Et ceux-là, M. Saint-Cyr les connaît par cœur. Il est un homme d’affaires. Ceux qui pensent d’abord à eux, ensuite à eux, et finalement encore à eux. Ceux qui calculent plus vite que des caissières de supermarché en période de tempête majuscule. Ceux qui rêvent de fauteuils, en fauteuil roulant, même quand les fauteuils brûlent. Ceux qui veulent écrire l’histoire, mais sans jamais lire le chapitre précédent.
Ils parlent de stratégies, aussi. Ils parlent d’alternance de pouvoir. Ils parlent de courage et de pouvoir en transition. En réalité, ils parlent d’eux-mêmes. Ils veulent ajouter une nouvelle dimension à la crise — comme si Ayiti manquait de complexité. Un tournant institutionnel maintenant ? Ce serait un choc tectonique. Mauvais pour la sécurité. Mauvais pour les élections architectoniques. Mauvais pour l’État électronique. Mauvais même pour les mauvaises idées dynamiques.
Changer de Premier ministre aujourd’hui, c’est comme changer de pneu en pleine descente de morne Puilboreau. L’on ne s’arrête pas sans conséquences. On ne bouge pas une pièce sans faire trembler les autres. Une crise en entraîne toujours une autre Messieur-dame. Ce sont des dominos. Des dominos vieux, branlants, parfois collés avec de la glue politique. Pas de silicone, mais des dominos qui tombent très bien depuis plus de trente ans. Pas besoin d’en rajouter.
M. Saint-Cyr l’a compris. Il se pose en chef — pas en despote, mais en gardien du minimum vital, dirait-on. Il demande de la sérénité. Oui, ce mot presque vif dans notre vocabulaire national. Il demande une transition pacifique. Une sortie ordonnée. Un leadership responsable. Des mots qui semblent simples, mais qui deviennent des montagnes en temps de transition. En revanche, il insiste. Ce n’est pas le moment de renverser la table avec les dominis. Le pays n’a pas besoin d’un tremblement politique catégorie 7 sur l’échelle des ambitions personnelles.
Ce que le chef du CPT réclame, c’est presque banal : tenir jusqu’au bout. Simple, mais difficile. Parce que tenir, c’est renoncer à détruire. Renoncer à briller seul. Renoncer à sa propre petite apocalypse contrôlée : l’on contrôle tout, même les gangs. Tenir exige une discipline que la politique en Ayiti rejette naturellement, comme un corps étranger qui flotte en force de gravité. Mais tenir est la seule façon d’éviter que tout — encore une fois — ne parte en lambeaux.
Il sait que certains le trouvent trop prudent. Trop conciliant. Trop patient. Mais lui voit autre chose : l’urgence de ne pas gâcher ce qui reste, les deux mois, les cadeaux avant Noël. L’urgence de préserver, pour une fois, la stabilité minimale des résidences publiques de Bourdon. L’urgence de ne pas confondre changement et chaos. Il veut fermer la parenthèse transitionnelle par la porte, pas à travers la fenêtre. Il veut éviter le scénario où le CPT serait le pyromane et le pompier en même temps. Très bien !
Dans sa lettre, il n’impose pas, mais avertit. Il ne menace pas, il exhorte. Il ne s’impose pas, il se propose. Chef malgré lui, mais chef quand même. Gardien d’un pont fragile entre un pays épuisé et une échéance lourde de symboles déchus.
Il sait aussi qu’à trop jouer avec les dominos, on finit enseveli dessous. Alors il préfère aligner les pièces plutôt que les pousser. Il préfère apaiser que provoquer. Il préfère construire un fleuve plutôt que creuser un précipice vers une nouvelle tendance.
Son message serait clair cependant : Ce n’est pas le moment. Ce n’est pas la bataille. Ce n’est pas l’ennemi. Le vrai brasier est ailleurs : dans les rues, dans la faim, dans la peur, dans les écoles contraintes de fermer, dans les quartiers abandonnés, dans les camps de déplacés et l’obligation de réaliser les élections avant même de stabiliser le pays.
Le chef du CPT, Laurent Saint-Cyr voit le verre à moitié plein. Et il invite les autres à ne pas le renverser. Pas maintenant. Pas au bord du 7 février. Pas à deux mois du verdict démocratique. Faire simple monsieur-dame : tenir. Faire essentiel : penser au pays. Faire historique : ne pas tout gâcher.
Elmano Endara JOSEPH
joseph.elmanoendara@student.ueh.edu.ht
Formation : Masterant en Fondements philosophiques et sociologiques de l’Éducation/ Cesun Universidad, California, Mexico; Juriste, Communicateur social
