« La Révolution haïtienne n’a pas seulement renversé un ordre colonial : elle a déplacé le centre même de l’histoire mondiale ; là où les puissances européennes se croyaient les uniques détentrices de l’universel, Jean-Jacques Dessalines et le peuple haïtien ont montré que les périphéries colonisées pouvaient devenir le cœur d’un bouleversement global, et, à partir de Saint-Domingue, un peuple réputé “impensable” dans l’ordre racialisé du XVIIIᵉ siècle a imposé au monde une définition neuve de la liberté. »
Mesdames et Messieurs, Peuple d’Haïti, fils et filles d’une terre qui fit trembler les empires, citoyens d’une Nation née dans le feu sacré de la Liberté, consœurs et confrères de la presse,
Jean‑Jacques Dessalines : un nom qui fend le silence comme un coup de sabre dans la nuit, entaillant à jamais l’histoire coloniale et résonne, deux siècles plus tard, tel un écho venu des profondeurs de notre histoire — un nom qui n’appartient pas au passé mais à notre destin.
Le 17 octobre n’est pas seulement une date, une simple page d’histoire, mais une plaie ouverte, une balafre dans la chair de la Nation, une dette vivante inscrite dans chaque grain de cette terre ; en ce jour de 1806, l’Empereur Jean‑Jacques Dessalines, Père de la Patrie, Libérateur de la race noire, fut d’abord empoisonné puis assassiné, avant que son corps ne soit atrocement découpé en quatorze morceaux, non par l’armée d’un empire étranger, mais par ses propres compagnons d’armes, sacrifiant le corps impérial et, avec le géant, trahissant la promesse d’une Haïti forte, juste et souveraine — car le sang versé au Pont‑Rouge ne fut pas seulement celui d’un Empereur : ce fut celui de l’idéal même qui avait fait de cette île la terre où la liberté a pris son sens le plus pur.
Pour avoir combattu sous ses ordres, les assassins de l’Empereur ont dû trembler devant la dimension de l’homme qu’ils osèrent trahir ; le Libérateur n’était pas un politicien en quête de prestige ni un orateur rassasié de belles formules, il était la volonté farouche d’un peuple arraché à la servitude qui se dresse et proclame, à la face du monde, son droit imprescriptible à l’existence.
Dessalines est le Dieu de la Liberté. Dans un monde bâti sur l’esclavage et l’infériorité imposée, il a fait surgir, par la seule force d’une volonté indomptable, un ordre nouveau. Son nom devrait être honoré par les Haïtiens avec la même ferveur que d’autres nations célèbrent leurs géants : comme la France élève Napoléon et Jeanne d’Arc ; comme les États-Unis vénèrent Washington, Jefferson et Lincoln ; comme l’Amérique latine glorifie Bolívar et San Martín ; comme l’Inde porte Gandhi dans sa mémoire vivante. Dessalines appartient à cette lignée des êtres rares qui ont bouleversé le cours de l’Histoire universelle — mais à la différence des autres, il a accompli l’impossible : libérer des esclaves et fonder, contre toutes les puissances, un État noir souverain.
Sans avoir fréquenté des écoles militaires ou académies prestigieuses, mais animé d’une intelligence fulgurante et d’un instinct de stratège incomparable, il a déjoué les plans de Napoléon Bonaparte ; mené des batailles que l’on disait impossibles et vaincu la plus grande armée coloniale de son temps ; il a brisé les fers de la servitude et proclamé : « Je veux que la liberté règne sur cette terre à jamais. » En abolissant à jamais l’esclavage et en triomphant de l’armée napoléonienne, le Père de la Nation a renversé l’ordre multiséculaire de l’exploitation de l’homme par l’homme ; pour la première fois dans l’histoire du monde, une insurrection d’esclaves a non seulement vaincu l’empire le plus puissant de son temps, mais a donné naissance à une nation noire libre et souveraine, le premier Empire nègre des Amériques.
Bien avant la déflagration révolutionnaire, cette terre avait déjà une âme. Mais que reste-t-il aujourd’hui de cette alliance et de cette grandeur ? Ciboneys, Taïnos et Arawaks y avaient bâti des sociétés florissantes, vénérant montagnes et rivières comme des êtres vivants ; ils savaient, bien avant nous, que la terre n’est pas une possession mais une alliance sacrée — et c’est au nom de cette alliance que nous mesurons aujourd’hui l’ampleur de nos manquements.
Regardons‑nous aujourd’hui : nos villes délabrées, nos institutions effondrées, nos plaines de béton, vallées et montagnes désertées, notre jeunesse exilée et sans perspective d’un avenir florissant et prometteur, notre mémoire dispersée comme des feuilles mortes dansant la sarabande des Gede dans les corridors de la Mort ; où est la statue colossale que mérite l’Empereur, où est le temple national où l’enfant haïtien apprend la pensée du Père de la Nation ; par notre indifférence, par nos échecs, nous avons accepté que le monde le réduise à une note de bas de page — et cette amnésie n’est pas neutre : elle est politique, car un peuple qui oublie ses héros devient malléable, colonisable à nouveau.
Dessalines n’est pas une relique mais un phare, une boussole ; son héritage n’est pas seulement militaire, il est institutionnel, social et moral : il rêvait d’un État fort, équitable, souverain, où les ressources profitent aux enfants de cette terre ; sa vision n’a pas vieilli — elle a été trahie, interrompue — mais elle peut renaître si nous avons le courage de la reprendre en main.
Il est temps de rompre le pacte de l’oubli, ce silence qui ronge nos mémoires et affaiblit nos âmes ; il est temps de reprendre le flambeau non comme on brandit un vestige mais comme on rallume une torche pour éclairer notre marche collective, non dans la nostalgie vaine d’un passé idéalisé mais dans l’action lucide, rigoureuse et déterminée qui seule peut honorer cet héritage.
Le Dessalinisme n’est pas une bannière que l’on agite dans les moments d’émotion pour la ranger ensuite dans les tiroirs de l’oubli. Le Dessalinisme n’est pas un slogan creux que l’on brandit pour se donner une légitimité passagère, ni un outil à la disposition des dénerflés et des apatrides qui salissent la mémoire du Libérateur ; c’est une exigence historique, une boussole politique et morale pour quiconque prétend parler au nom de ce peuple. Le Dessalinisme est un programme historique, une orientation claire pour bâtir une nation debout : souveraineté économique pour que le travail de nos mains nourrisse notre peuple et non des empires lointains ; dignité politique pour que nos institutions cessent d’être des marionnettes et deviennent les instruments d’un peuple libre ; justice sociale pour que chaque Haïtien, riche ou pauvre, urbain ou rural, ressente concrètement que la liberté conquise en 1804 n’était pas un rêve abstrait mais une promesse vivante.
Rompre le pacte de l’oubli, c’est refuser la résignation ; c’est admettre que notre avenir exige plus que des remémorations : il appelle un engagement collectif, une révolution intérieure qui rallume la flamme dessalinienne dans chaque foyer, chaque école, chaque institution.
« Pour les rendre libres, il a fallu verser notre sang. » — Jean‑Jacques Dessalines, 1er janvier 1804.
« … Peuple trop longtemps infortuné… rappelle‑toi que j’ai tout sacrifié pour voler à ta défense…, mon nom est devenu en horreur à tous les peuples qui veulent l’esclavage ; les despotes et les tyrans ne le prononcent qu’en maudissant le jour qui m’a vu naître. Si jamais tu refusais ou recevais en murmurant les lois que le génie qui veille à tes destinées me dictera pour ton bonheur, tu mériteras le sort des peuples ingrats. » — Gonaïves.
Ces paroles résonnent aujourd’hui comme une adresse prophétique à notre génération, comme si l’Empereur, invisible mais présent, parlait au cœur du peuple haïtien : « Héritiers de ma lutte, enfants d’une terre conquise au prix de tant de sacrifices, pourquoi restez-vous à genoux ; pourquoi laissez-vous les karanklou de l’intérieur et vautours de l’extérieur dévorer la chair de votre souveraineté ; réveillez-vous : la liberté acquise dans la douleur n’est pas un héritage à gaspiller mais une torche à raviver ; levez-vous, non pour mendier, mais pour reprendre ce qui vous appartient ; rompez avec les trahisons qui se répètent depuis mon assassinat ; que vos divisions deviennent acier commun et que chaque jeune d’Haïti se fasse lame de lumière dans la nuit coloniale qui revient sous d’autres formes. »
Peuple haïtien, cette voix ne vient ni du passé figé ni des statues silencieuses. Pour comprendre la portée de cet appel, souvenons-nous de la puissance historique qui nous a façonnés, elle s’élève de la terre, de l’histoire et de votre propre conscience citoyenne. Elle ne vous appelle pas à répéter la Révolution — car celle de 1804 a triomphé —, mais à en accomplir une autre : celle qui doit édifier les fondations politiques, économiques, sociales, culturelles et spirituelles d’une Nation libre et souveraine dans les faits.
Cette révolution de notre temps doit construire des institutions solides et légitimes, une économie nationale au service de la Grande majorité nationale, une éducation émancipatrice, une justice impartiale, une sécurité citoyenne effective et une conscience collective affranchie des réflexes de dépendance. C’est là le chantier de la vraie libération.
Jean‑Jacques Dessalines, Empereur, Libérateur, guide éternel de la Liberté noire, aujourd’hui, devant le monde, nous promettons de ne plus te trahir ; nous promettons de relever ce pays non pas sur les genoux des autres mais sur nos propres jambes ; nous promettons d’enseigner ton nom non comme une anecdote mais comme une direction.
Aux assassins de la Patrie, qui, hier comme aujourd’hui, poignardent Haïti dans le dos, trahissent Haïti pour des miettes de pouvoir, pactisent avec l’étranger pour vendre l’avenir, cèdent les richesses du pays pour une poignée d’or et piétinent le rêve dessalinien pour satisfaire leurs vils appétits, nous disons : le sang de Dessalines n’a pas séché, il voit, il juge, il réclame — la patrie peut pardonner les erreurs, mais elle ne pardonnera plus les trahisons ; quiconque s’élèvera contre la liberté de ce peuple se dressera face à la mémoire vigilante de l’Empereur ; nou dwe konnen, ansasen peyi a, ke listwa pa padone : la terre d’Haïti, abreuvée du sang des héros, garde la mémoire, et les peuples qui se relèvent finissent toujours par juger leurs assassins.
Peuple d’Haïti, levez‑vous, relevez la tête et que retentisse à nouveau le serment des ancêtres : « Nou se pitit fi ak pitit gason Jacques, Anperè Premye d’Ayiti ! Nou pral travay pou vre liberasyon an ! »
Haïti… Terre de la Liberté, tu portes dans ta chair les cicatrices de la grandeur et les plaies de la trahison ; souviens‑toi du sang versé, souviens‑toi de l’audace nue de ceux, poitrines offertes aux canons, qui firent plier les trônes, leurs rêves plus vastes que les océans ; et maintenant, regarde‑toi : sous le regard brûlant de l’Empereur, ose répondre — as‑tu été digne de l’héritage confié ; si Dessalines se dressait devant nous, que verrait‑il : un peuple debout, fier, indomptable, ou une nation qui s’est laissé voler son souffle ; quelle serait sa sentence ; décide, décide aujourd’hui que cette mémoire ne sera plus un rituel vide mais le cri fondateur d’un recommencement national, décide que le 17 octobre ne sera plus une parenthèse remémorative mais le point d’inflexion d’une histoire reprise en main.
Jeunesse d’Haïti, entre 1791 et 1804, une population majoritairement réduite en esclavage, sans armée régulière ni institutions préexistantes, a renversé trois des plus grandes puissances militaires du monde moderne — fait unique dans l’histoire universelle qui témoigne du génie stratégique du Libérateur et de la puissance d’un peuple décidé à ne plus plier ; là où tous voyaient une colonie servile, il a vu une nation souveraine.
Les acteurs de cette geste révolutionnaire n’étaient pas un bloc uniforme : affranchis noirs et hommes de couleur libres, bossales d’Afrique, officiers ayant appartenu à la France par leur éducation, certains ayant combattu sous les drapeaux français, espagnols ou même anglais, propriétaires d’esclaves et de plantations aux intérêts parfois irréconciliables — tous ont pourtant compris que, malgré leurs différences, ils avaient le devoir historique de se souder sous les ordres de Dessalines, chef choisi et reconnu pour sa puissance guerrière et sa capacité prométhéenne à rassembler, afin de transformer la multitude en une force invincible et d’aboutir ensemble à la victoire. Cette leçon vaut pour nous aujourd’hui : il ne suffit pas de remémorer pour se libérer. Un peuple qui ne se constitue pas en nation demeure à la merci des vents des puissances et tempêtes de l’histoire. Notre véritable libération ne se bâtira ni dans la dispersion ni dans les lamentations, mais dans la volonté ferme de redevenir un corps politique uni, conscient de son destin, organisé autour d’un projet commun. C’est dans cette refondation nationale que réside la clé de notre souveraineté réelle.
Le génie politique de Dessalines s’est incarné dans la Constitution impériale de 1805, l’un des textes les plus audacieux de son temps. Par cet acte fondateur, l’Empereur ne se contente pas de proclamer la liberté : il la grave dans la loi. La Constitution abolit à jamais l’esclavage, proclame l’égalité absolue entre tous les Haïtiens et efface les distinctions raciales héritées de l’ordre colonial ; l’article 14 décrète que tous les Haïtiens seront désormais connus sous la seule dénomination de « Noirs » — geste radical abolissant toute hiérarchie raciale pour fonder une communauté politique unique. Elle consacre l’unité nationale, la souveraineté économique, la liberté religieuse, la justice et l’éducation pour tous. L’article 13 proclame qu’aucun être humain ne peut fouler le sol haïtien sans devenir libre — une clause d’asile universelle sans équivalent à l’époque, qui fit de la jeune Haïti un phare de liberté mondiale. Par cette vision juridique, politique et spirituelle, Dessalines ne renverse pas seulement un empire : il bouleverse les fondements mêmes de la civilisation esclavagiste et inaugure un ordre humain nouveau. Aucun autre héros national dans l’histoire universelle ne réunit, avec une telle intensité, la victoire militaire décisive sur une puissance mondiale, la libération d’une race entière, la fondation d’un État souverain égalitaire et une postérité quasi divine dans la mémoire populaire.
Mais cette révolution n’est pas close ; elle n’est pas un souvenir figé dans les livres : elle demeure un chantier ouvert, une orientation pour notre présent — la véritable fidélité au Dessalinisme commence aujourd’hui, dans la capacité de notre génération à mener à bien cette deuxième révolution haïtienne, celle des consciences, des institutions, de la souveraineté réelle ; votre liberté n’est pas née d’un miracle, mais de la lucidité et du courage de ceux qui ont dit non à l’injustice : que ce flambeau, porté au prix du sang, n’aille pas s’éteindre dans l’indifférence, qu’il embrase votre génération, la Génération Z, d’un patriotisme lucide et créateur.
Considérons avec lucidité la situation exceptionnelle que traverse aujourd’hui Haïti. Nous sommes face à une vacance totale du pouvoir à tous les niveaux de l’État ; les institutions, déjà fragiles, ont dérivé au point d’en perdre toute légitimité. Une crise sociale, économique et politique d’une profondeur inédite ébranle la Nation. La gangstérisation du territoire, avec son cortège de violences et de deuils, déchire le tissu social et terrorise la population. Le Conseil présidentiel de transition s’est révélé incapable d’accomplir le moindre objectif de son mandat : ni élections générales ni sécurité retrouvée. Pendant que l’échéance du 7 février 2026 approche sans qu’aucune issue claire ne se dessine, le peuple s’enfonce dans la détresse. Le territoire des ancêtres est à nouveau menacé de bottes étrangères, tandis que la capitale, l’Artibonite et le Centre sont livrés aux gangs. Des milliers d’Haïtiens sont déplacés et otages du pouvoir, sont parqués dans des camps dans des conditions indignes. Cette désagrégation nationale est le fruit d’une longue chaîne de renoncements et de trahisons, amorcée au Pont-Rouge en 1806 et prolongée par des gouvernements successifs qui ont failli à leur devoir historique. Et voilà qu’aujourd’hui, dans une fuite en avant absurde, ces mêmes autorités prétendent organiser des élections en décembre alors que tout est neutralisé par la violence armée. C’est une aberration politique et historique que l’Histoire retiendra.
Hayti leve kanpe ! Que le 17 octobre ne soit pas un écho lointain mais le tambour qui réveille une nation endormie. Que la flamme qui palpite dans vos cœurs devienne un brasier dévorant, un incendie de dignité et de courage, et sous le regard sévère mais espérant de Dessalines, nous puissions enfin dire d’une seule voix : « La Liberté a retrouvé ses enfants. »
Avant de clore cette proclamation, je tiens à exprimer ma profonde gratitude : aux membres de la presse, merci d’avoir répondu à l’appel de ce 17 octobre et de faire résonner cette voix bien au-delà de ces murs ; je tiens également à remercier chaleureusement Radio Télé Pacific, hôte de cet événement mémoriel — c’est un honneur particulier de prononcer ces paroles en ces lieux familiers, au sein d’une maison médiatique à laquelle je contribue et soutiens de tout cœur ; à vous, chers invités, frères et sœurs en la patrie, merci d’avoir honoré ce moment, non comme de simples spectateurs, mais comme des gardiens de mémoire et bâtisseurs d’avenir, car votre présence atteste que la flamme patriotique n’est pas éteinte et que l’esprit du Libérateur demeure une force agissante, une responsabilité que notre génération doit pleinement assumer.
Vive la mémoire impérissable de Jean‑Jacques Dessalines. Vive Haïti digne et souveraine. Hayti de tous les impossibles va étonner le Monde.
Devant !
Savannah Savary