Port-au-Prince, le 3 décembre 2025
Senator of Idaho
Honorable James E. Risch
Sénateur de l’Idaho
Président de la Commission des relations étrangères du Sénat des États-Unis
Honorable Brian Mast
Représentant de la Floride
Président de la Commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants des États-Unis
Objet : Lettre de protestation pour conduite inappropriée dans les affaires diplomatiques en Haïti
Cher Sénateur,
Cher Représentant,
La Conférence des Pasteurs Haïtiens (COPAH) salue votre engagement envers le renforcement des États-Unis et reconnaît votre attachement constant aux principes démocratiques ainsi qu’à l’intégrité des institutions.
En tant qu’organisation représentant des pasteurs haïtiens, haïtiano-américains et haïtiano-canadiens, en Haïti comme au sein de la diaspora, nous vous écrivons pour protester formellement contre un schéma persistant et systémique de conduite observé chez certains diplomates américains accrédités en Haïti. Ces pratiques, contraires aux normes diplomatiques reconnues, enfreignent l’Article 41.1 de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, qui exige des agents diplomatiques qu’ils « respectent les lois de l’État de réception » et ne « s’immiscent pas dans ses affaires intérieures ».
Depuis plusieurs décennies, des actions diplomatiques américaines successives ont franchi de manière répétée la ligne de démarcation entre une politique étrangère légitime et une intervention directe dans les processus politiques souverains d’Haïti. En 1991, le renversement du premier président démocratiquement élu, Jean-Bertrand Aristide, a été largement associé, dans le discours public haïtien, à l’influence de services d’intelligence étrangers — notamment par l’implication alléguée d’éléments de la Central Intelligence Agency. Ces allégations continuent d’influencer la mémoire politique du pays et la confiance civique.
En 2011, moins d’un an après le séisme du 12 janvier 2010 qui a causé plus de 250 000 morts, des responsables américains de haut niveau — dont la Secrétaire d’État de l’époque, Hillary Rodham Clinton — ont publiquement contesté les résultats préliminaires de l’élection présidentielle. La pression qui a suivi a conduit à l’ascension de Michel Joseph Martelly, dont l’arrivée au pouvoir a été largement perçue en Haïti comme favorisée de l’extérieur plutôt que véritablement issue du processus électoral.
Après l’assassinat du président Jovenel Moïse, le 7 juillet 2021, les diplomates américains sont de nouveau intervenus dans la succession constitutionnelle. Leur soutien à Ariel Henry, désigné chef d’État de facto, a ignoré la structure exécutive bicéphale prévue par la Constitution haïtienne, qui reconnaît simultanément un président et un premier ministre.
Trente-trois mois plus tard, dans un contexte de détérioration sécuritaire liée à l’expansion de groupes armés opérant hors de toute responsabilité démocratique, M. Henry a été contraint de quitter ses fonctions. En avril 2024, un Conseil Présidentiel de Transition (CPT) à neuf membres a été mis en place. Bien qu’il rassemble des représentants politiques et de la société civile, ce Conseil reste perçu comme le produit d’un long schéma d’influence extérieure ayant contribué davantage à affaiblir les institutions haïtiennes qu’à les renforcer.
Cette pression diplomatique a également touché les institutions civiles, y compris l’Église protestante — pourtant largement soutenue par des donateurs évangéliques américains. Le conflit opposant COPAH à la Fédération Protestante d’Haïti (FPH) au sujet de la représentation au Conseil Électoral Provisoire en offre un exemple clair. Alors que l’affaire était toujours pendante devant le conseil présidentiel de transition, l’Ambassadeur Dennis B. Hankins a rendu visite, le 28 août 2024, au président de la FPH, envoyant un signal explicite de préférence de l’Ambassade américaine pour le représentant désigné par cette organisation.
De la même manière, le chargé d’affaires Henry Wooster a exercé une pression politique directe — notamment par correspondance privée — sur des responsables haïtiens de haut niveau, dont M. Fritz Alphonse Jean, conseiller-président et membre du CPT, afin de bloquer les efforts visant à révoquer le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé. En violation flagrante des conventions diplomatiques, l’Ambassadeur Wooster a transmis, via WhatsApp, le message suivant, reproduit mot pour mot :
« Je comprends que vous faites partie d’un groupe qui cherche à renverser le chef du gouvernement. C’est également l’analyse de Washington. Si vous et votre famille tenez à votre relation avec les États-Unis, je vous exhorte, dans les termes les plus fermes, à renoncer à toute initiative visant à destituer le Premier ministre et à publier plutôt le décret électoral, comme nous en avons déjà discuté. Ce n’est pas le moment de mettre à l’épreuve la détermination des États-Unis. Merci. »
Un tel message, adressé à un haut responsable haïtien, constitue une intervention directe dans les affaires politiques internes d’Haïti et apparaît incompatible avec les normes établies du droit international.
Ce type de pression diplomatique contrevient clairement au principe de non-intervention consacré par la Charte des Nations unies et réaffirmé par la Convention de Vienne, qui stipule qu’un agent diplomatique « ne doit pas s’ingérer dans les affaires intérieures » de l’État hôte. En conditionnant la « relation » d’un individu et de sa famille avec les États-Unis à un comportement politique interne, ce message relève davantage de la coercition diplomatique que du dialogue entre partenaires souverains.
D’un point de vue doctrinal, il s’agit d’une pression politique directe dépassant les limites de l’« éloquence diplomatique », laquelle exige de formuler des positions fermes tout en respectant la souveraineté de l’État hôte. Ici, le ton et le contenu relèvent de l’avertissement explicite — voire de la menace implicite — une démarche généralement jugée diplomatiquement incorrecte.
Au-delà du cadre juridique et diplomatique, ce type d’intervention renforce une perception profondément enracinée dans l’opinion publique haïtienne : celle d’une humiliation collective et d’un traitement paternaliste de la part des États-Unis.
Nombreux sont ceux qui considèrent depuis des années que la politique étrangère américaine en Haïti est :
- intrusive,
- dévalorisante,
- et largement responsable d’impasses politiques répétées.
Dans ce contexte, le message attribué au chargé d’affaires nourrit l’idée que Washington ne se limite pas à influencer, mais cherche à dicter les trajectoires politiques haïtiennes. Il alimente le sentiment d’un pays « sous tutelle » plutôt que souverain. Beaucoup y voient l’illustration d’une politique qualifiée de désastreuse, tant pour la stabilité politique que pour la dignité nationale.
Cette perception intensifie la colère et la frustration d’une population déjà éprouvée par l’insécurité, la crise institutionnelle et l’effondrement des services publics. Pour beaucoup, cette attitude diplomatique constitue un affront, une atteinte symbolique à la souveraineté et un manque de respect envers les dirigeants comme envers le peuple haïtien.
Ainsi, sur les plans juridique, diplomatique et sociopolitique, le comportement décrit du chargé d’affaires américain apparaît comme :
- non conforme aux conventions diplomatiques,
- contraire au principe de non-ingérence,
- préjudiciable à la confiance bilatérale,
- et humiliant pour une opinion publique particulièrement sensible à la question de la souveraineté.
Les responsables américains affirment fréquemment que les crises haïtiennes sont « des affaires haïtiennes que les Haïtiens doivent résoudre eux-mêmes ». Nous reconnaissons pleinement cette responsabilité. Cependant, en tant que ministres appelés à défendre la vérité, à porter la voix des sans-voix et à demander des comptes au pouvoir, nous posons les questions que l’histoire nous impose — et que nous faisons ressortir ici expressément :
- Comment Haïti peut-elle gouverner souverainement lorsque la pression diplomatique étrangère supplante de manière répétée les choix nationaux ?
- Comment la légitimité démocratique peut-elle s’épanouir lorsque des dirigeants élus sont écartés au profit de remplaçants perçus comme politiquement vulnérables ?
- Et comment une puissance mondiale qui se réclame des idéaux démocratiques peut-elle recourir à la révocation de visas comme instrument de coercition ?
Nous reconnaissons sans ambiguïté que les États-Unis ont des intérêts légitimes en Haïti et le droit de les préserver. Cependant, cette influence ne peut devenir un levier diplomatique compromettant la dignité nationale, l’ordre constitutionnel ou la confiance civile — d’autant plus lorsque cette pratique conduit même des citoyens américains à éprouver de la honte face à la conduite internationale de leur propre pays.
Ces ingérences répétées dans la continuité gouvernementale haïtienne affaiblissent la légitimité étatique, approfondissent la méfiance, fracturent l’ordre constitutionnel et violent le principe fondamental de non-ingérence consacré par la Convention de 1961.
Nous appelons donc respectueusement le Congrès américain à exercer pleinement son pouvoir de contrôle constitutionnel — de manière concrète et non symbolique — pour examiner et corriger ces pratiques diplomatiques. Les États-Unis doivent affirmer leur soutien à la souveraineté haïtienne non seulement dans leurs discours, mais également à travers une diplomatie responsable et respectueuse, fondée sur des pratiques de gouvernance redevables.
Nous exhortons enfin le Congrès à aligner ses actions sur ses principes, à réaffirmer son soutien à l’autodétermination d’Haïti et à restaurer la capacité de notre pays à se gouverner sans intrusion diplomatique excessive.
Respectueusement,
Rév. Pasteur Dorvila NORMIL
Président de la COPAH
Cc :
Honorable Chuck Schumer
Chef de la minorité au Sénat des États-Unis
Honorable Hakeem Jeffries
Chef de la minorité à la Chambre des représentants des États-Unis
Honorable Marco Rubio
Secrétaire d’État des États-Unis
