« Tras silans » : une invitation à la méditation

Au commencement était le silence ; rien ne vaut le silence. Gardons-nous d’ignorer que toute parole nait d’un silence que serrait la jugulaire d’une pensée. Quelle âme doit-on posséder pour construire un corps utile à la pensée ? Celle d’un poète, bien sûr ! Un poète qui dit silence et qui raconte le frou-frou de deux corps qui voyagent sur l’étendue des villes : « bri kò nou kite sou vil yo. » L’écho de ce vers introduit le recueil « tras silans » de Coutechève Lavoie Aupont.

« Bò Latibonit

chak men s on bri cheve

lanmou kase pou kouvri lannuit. »

« Latibonit », c’est l’espace fétiche où le soleil d’Haïti va prendre son repos quand les souvenirs pèsent lourdement sur la fin du jour. C’est de ce lieu que démarre l’expédition de Coutechève Lavoie Aupont à la découverte des secrets de l’existence fragilisée, déployée dans son recueil teinté d’un intimisme rêveur. Chaque seconde qui meurt laisse sous la plume de Coutechève Lavoie Aupont, la queue d’une comète à admirer. C’est un poète amoureux des espaces limités dans leurs aspects physiques comme dans leur repartie spirituelle. Pour simplifier les explications, l’on a qu’à consulter ces trois lignes :

« se mistè

lwa ki marye

ak kretyen de bra balanse »

La raison de « Tras silans » est expliquée à travers les textes où l’on découvre quelquefois des Saints de pierre qui respirent en symbiose avec des êtres de chair. Certaines confidences sont à même de froisser le mental apparenté à une conviction religieuse, qui n’a pas eu le temps de consulter la profondeur de sa foi, mais c’est toujours le silence d’une situation qui incite le poète ; souvent une situation souffrante. : « lapriyè se bri mizè fè a midi tapan ». Le silence a besoin de lumière, une lumière fracassante qui réfléchit la vérité sous son aspect brutal : « Bondye se sèl peche / mwen vle pran oserye ».

Il y a un réalisme transcendantal qui parcourt le recueil « tras silans ». L’espace-temps est sous le contrôle des sentiments ; il y a aussi l’emphase des habitants sur le périf, tous les lieux sont visités. Quel lecteur osera lire ces poèmes sans émotion.

Les poèmes présentés dans « Tras silans » sont des symboles. Les villes sont des personnes qui souffrent avec les habitants, les misères inventées tantôt par la croyance forgée en théocratie (Jezi pa fè ovètaym pou malere), tantôt par une exploitation politique dégradante (politisyen fè lò nan tout bwat djanni), tantôt par des situations taboues transmises presque sans fracture d’une génération à une autre (nou drese grangou ak senp / ak lapriyè zaka).

« Tras silans » est une œuvre intelligente d’une portée philosophique. C’est une démarche qui nous surprend dans l’expectative de nous-mêmes : « lè nou anvi Moun / anvi moun tout bon. » Dans le recueil, la parole sincère est sacralisée jusqu’à l’opacité, pour empêcher au naïf d’immoler l’intelligibilité. Coutechève Lavoie Aupont nous fait de grandes remarques sur la compréhension de nos actes pour répondre au combat de notre tendresse et de notre Moi : « depi jou sa a / lanmou ak batay ? se premye rankont lòm / fè ak men gòch lavi ». Tras silans ne comporte pas des poèmes à représenter en pièce de théâtre, les scènes sont plutôt à lire pour une confrontation des méditations. C’est une proposition à spéculer sur les phénomènes de la société haïtienne. Ce sont des poèmes qui invitent à considérer le personnel dans le malheur de l’Etre Haïtien : « si chak vil / gen koulè silans yo / longè kilomèt repiyans pa yo / pouki ou blije di moun non malè nou ? » Il faut cependant penser à tout cela sans attacher à Coutechève Lavoie Aupont une culture d’ostracisme.

Les poèmes de « Tras silans » ne sont pas des paroles d’évangile ; l’auteur en est pleinement conscient, d’ailleurs : « Jodi a nou dakò / Levanjil se pwazon vyolan ». Il ne fait que partager avec nous le fruit de ses observations. Très touché par l’ironie que l’on fait de la dégradation des lieux et des êtres, Coutechève Lavoie Aupont plaide pour le respect de la personne humaine. Il nous invite à dire vrai avec les sentiments profonds du cœur : « Pa gen pi bèl ofrann / Lè bouch pwolonje kè ». Ô, le sublime de la poésie ! Le recueil est un « silans » éloquent ; ce n’est pas un silence à garder, c’est de préférence un silence qui déclenche un chahut inattendu. Et pour cela, il a fallu la force d’une bouche. Duckens Charitable nous dit ceci de cette bouche : « Coutechève Lavoie Aupont fè pati yon ras moun ki pa pè pale. » Une bouche qui a appris la mesure des mots à appliquer au retranchement des maux.

Duckens Charitable a su dire mieux encore : « Yon bagay mwen sonje lè mwen fin li liv Coutechève Lavoie Aupont an : Fè eksperyans, sispann reziye, renmen tèt ou. » pour dire que « Tras silans » mèrite d’être lu pour comprendre que : « Leta s on tou san fon / On maleng san manman », responsable de nos tribulations ; pour comprendre aussi que « se pa jodi / lavi pa lavi ankò », mais qu’il nous faut quand même tenter de vivre, même quand « Mèkredi maten / Tout doulè pote dèy sou kont lameri. » Grâce à Coutechève Lavoie Aupont, « Tras silans » nous a fait une leçon d’éveil.

 

 

Jean Rony Cinéus

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