Avec La politique étrangère d’Haïti sous l’administration de Michel Joseph Martelly, Jean-Guy-Marie Louis signe un ouvrage aussi attendu que nécessaire. Diplomate chevronné, docteur en droit et actuel recteur de l’Académie diplomatique Jean Price-Mars, il ouvre pour nous les coulisses d’une diplomatie haïtienne tourmentée, entre 2011 et 2016, à l’heure où un chanteur populaire se retrouvait, contre toute attente, à la tête de l’État.
Fidèle à son champ de recherche, il mobilise ses méthodes rigoureuses, fondées sur l’observation du terrain, des données concrètes et une mémoire institutionnelle rare en Haïti. Pas d’effet de style superflu ni de posture idéologique : une volonté nette de comprendre, nommer et transmettre.
Dès l’introduction, l’auteur pose les jalons d’une lecture méthodique et didactique. Avec la rigueur qu’on lui connaît, il revient sur un moment charnière de la vie politique contemporaine : l’élection surprise de Michel Joseph Martelly, chanteur populaire devenu président de la République. Cette accession inattendue sert de point de départ à une analyse critique de la diplomatie haïtienne entre 2011 et 2016.
Ancien directeur général du ministère des Affaires étrangères, ancien ambassadeur, aujourd’hui recteur, Jean Guy Marie Louis signe ici son cinquième ouvrage sur la diplomatie contemporaine. Plus qu’un essai, c’est une chronique fine et informée, nourrie par une connaissance intime des rouages de l’État.
Il y restitue les dynamiques diplomatiques du quinquennat Martelly en examinant, d’une part, les actes posés par les dirigeants haïtiens sur les scènes bilatérale et multilatérale, d’autre part, les pressions et ingérences étrangères subies, et enfin l’affaire PetroCaribe, révélatrice des limites d’une diplomatie incapable d’anticiper ou de répondre à un scandale d’envergure internationale. Ces volets structurent la plus grande partie de l’ouvrage, où l’auteur porte un regard lucide et sans complaisance sur une diplomatie nationale encore dépourvue de vision, réduite à gérer les urgences et les injonctions extérieures, loin des rails du développement qu’elle devrait pourtant servir.
Avec une plume sobre et précise, l’auteur démonte les apparences, décortique les gestes diplomatiques et distingue l’effet d’annonce des véritables avancées. À propos de la participation du chancelier Laurent Lamothe au Sommet d’Asunción, il écrit : « On pourrait croire que cette participation fut un grand succès diplomatique, au vu du nombre de réunions bilatérales tenues en marge du sommet et des résultats concrets obtenus. Pourtant, ce n’était pas vraiment le cas. Certains projets avaient déjà été négociés sous le président Préval, mais leur exécution fut retardée par le séisme. Le ministre Lamothe a toutefois le mérite de les avoir relancés et d’en assuré le suivi. »
Une diplomatie fragmentée
Ce livre s’impose comme une lecture incontournable pour comprendre les dessous d’une diplomatie fragmentée, trop souvent symbolique et rarement stratégique. Il apporte une contribution essentielle à la réflexion sur la refondation des relations internationales haïtiennes, à la lumière d’une décennie de confusion diplomatique.
Si vous avez lu et apprécié La coopération haïtiano-taïwanaise : un modèle de coopération Nord-Sud, ou encore les ouvrages de l’auteur consacrés à la politique étrangère de René Préval (1996–2001, 2006–2011) et à celle de Jean-Bertrand Aristide, vous apprécierez sans doute La politique étrangère d’Haïti sous l’administration de Michel Joseph Martelly.
Ce fin analyste consacre son énergie à documenter, analyser et archiver les actes de nos gouvernants en matière de politique extérieure. Il prend des notes, les agence, les éclaire et les interroge. Ce faisant, il nous livre plus que des faits : il en dégage du sens, dans un pays où l’État, lui, peine de plus en plus à en produire.
Dans les turbulences d’un État haïtien en voie d’effacement, où la politique étrangère se réduit trop souvent à une succession de gestes sans cap, Jean Guy Marie Louis se fait l’archiviste lucide du vide et du possible. Sa démarche, rare, vise à rendre lisible l’action diplomatique haïtienne, même lorsqu’elle vacille, se contredit ou s’improvise.
L’ouvrage devient ainsi un véritable vade-mecum diplomatique : un manuel critique de la politique étrangère haïtienne sous Michel Martelly, l’ancien chanteur devenu président, plus prompt aux extravagances qu’aux exigences de la fonction suprême.
Mais dans une Haïti sous tutelle à peine voilée, les tuteurs internationaux ont, sans scrupule, facilité l’ascension au pouvoir d’un homme dont la légitimité démocratique n’effaçait en rien les insuffisances structurelles, évidentes dès les premiers mois de mandat. Et tout cela s’est déroulé au vu et au su de tous.
C’est dans ce contexte bancal, presque absurde, que Jean Guy Marie Louis s’attache à retracer, avec rigueur, les lignes d’une diplomatie tantôt improvisée, tantôt subie, rarement pensée.
Un travail salutaire de mémoire et d’analyse, dans un pays où le passé récent se brouille vite, et où les erreurs, jamais vraiment nommées, se répètent inlassablement.
Maguet Delva