Le mouvement Auréole créole, surgissant dans la tourmente haïtienne, n’a rien d’un simple regroupement littéraire circonstanciel. Il se présente plutôt comme un laboratoire esthétique, où l’écriture devient à la fois acte de résistance et dispositif critique face à l’effondrement des repères sociaux et culturels. L’un des traits les plus frappants des textes liés à Auréole créole est leur capacité à transformer la crise en matrice créative à l’aide de la poésie, de peinture, sculpture, musique, toutes formes d’art. La turbulence sociopolitique, loin de paralyser l’imaginaire, devient une matière à interroger, déconstruire et réinventer. Le réel chaotique n’est pas transposé tel quel, mais travaillé par le langage, fragmenté et recomposé dans une esthétique de la dissonance. Les poèmes, souvent éclatés, traduisent la fragmentation même de la cité.
Le choix du fragment n’est pas un simple procédé formel : il relève d’une poétique de la lucidité. Dans un pays où la continuité historique est sans cesse brisée par des violences, l’écriture d’Auréole créole épouse ce morcellement, refusant l’illusion de récits totalisants. Ainsi, chaque texte s’impose comme éclat, brisure, éclairement fugitif. Cette écriture fragmentaire ouvre aussi à la polyphonie, car les voix marginales – exilés, oubliés, anonymes – trouvent place dans ces espaces disloqués du texte.
La place du créole est fondamentale. Plus qu’un choix linguistique, c’est une position éthique : écrire en créole ou à partir de lui, c’est refuser l’effacement des majorités populaires et affirmer leur rôle au cœur de la littérature. Esthétiquement, l’alternance entre créole et français produit une tension créative qui reflète la dualité d’Haïti : un pays tiraillé entre héritage colonial et affirmation culturelle. Cette tension n’est pas résolue, elle est habitée, assumée comme moteur d’écriture. Le nom du mouvement porte en lui une dimension symbolique forte. L’auréole est une lumière périphérique, jamais totale, qui cerne l’ombre sans la dissiper. Elle incarne cette posture d’« observateurs vigilants » : dire la crise sans la masquer, mais aussi sans s’y dissoudre. L’écriture devient ainsi une zone liminale, un entre-deux où coexistent l’espérance et le désenchantement, la mémoire et l’oubli, la parole et le silence.
Si Auréole créole refuse le confort des esthétiques closes, c’est parce qu’il place la littérature sous le signe de la vigilance. Les textes n’érigent pas des monuments, mais allument des foyers provisoires de sens. Ils se situent dans une temporalité discontinue : celle du provisoire, de l’instable, de l’urgence. Dans cette perspective, la littérature n’est plus seulement art, mais dispositif critique, outil de veille sur la société et sur ses dérivés.
En dernier ressort, Auréole créole propose une éthique de l’écriture où le geste littéraire devient inséparable de la responsabilité collective. Écrire, ici, c’est se tenir du côté de l’humain, préserver les traces quand tout menace de sombrer, résister par la lucidité. La littérature, auréolée mais non triomphale, se fait témoin d’un pays en ruines tout en ouvrant des interstices de lumière.
Godson MOULITE, Journaliste et poète haïtien