Par Quetya Aubin et Jude St-Fleur
En Haïti, le café est bien plus qu’une boisson matinale : c’est le gagne-pain de milliers de famille. En effet, « les systèmes agro-forestiers à base de caféiers (SAFC) contribuent de manière importante à la subsistance, la résilience, et la sécurité alimentaire des communautés rurales ainsi qu’au maintien de nombreux processus naturels et à la conservation de la biodiversité » (Millet, 2025). Cependant, au cours des dernières décennies, la culture du café est devenue un véritable défi en Haïti avec l’appauvrissement des sols de principales zones caféières du pays et le phénomène des changements climatiques. Les températures grimpent, les pluies diminuent et l’action néfaste de la maladie du caféier appelée rouille orangée, laquelle est causée par un champignon (Hemileia vastatrix), semble détruire jusqu’à 40 % des récoltes (Jeune, 2023a). Ces problèmes susmentionnés joints à d’autres tels que le prix du café sur le marché international et la pression démographique poussent à l’extension des cultures vivrières au détriment des cultures pérennes comme le café. La culture du café est confrontée aussi à la vieillesse des caféteries en général, et la présence en Haïti de certaines pestes comme le scolyte de la baie du caféier, la pourriture des racines. En outre, il convient de souligner quelques contraintes importantes comme, le manque de financement pour renouveler les plantations âgées, la poursuite de l’instabilité politique et de la violence sociale qui ne manquent pas d’affecter les agriculteurs, leur famille et l’avenir du café haïtien.
Heureusement, un vent d’espoir est en train de souffler sans toutefois provoquer un grand bruit . Les systèmes agro-forestiers, où les caféiers poussent à l’ombre d’arbres comme les ingas (Inga spp.) ou les cèdres (Cedrela odorata) et en compagnie de cultures vivrières (igname, malanga, banane figue …), protègent les plantes, enrichissent les sols et produisent un café savoureux. Le Programme d’Innovation Technologique en Agriculture et Agroforesterie (PITAG), mis en œuvre par le Ministère de l’Agriculture des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR) avec l’appui financier de la Banque Interaméricaine de Développement, du Programme Mondial d’Agriculture et de Sécurité Alimentaire (GAFSP) et du Fonds International pour le Développement Agricole (FIDA), a exploré depuis quelques années des pistes de solution en la matière... Les chercheurs d’un consortium, dirigé par une ONG internationale « Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières (AVSF) », ont travaillé sur l’évaluation de la qualité des sols, la caractérisation de la diversité génétique des caféiers, ainsi que sur les innovations et conditions sociales d’adoption des paquets techniques à travers des séances de formation organisées dans la Grand’ Anse et dans la région du Nord (AVSF et al., 2018 ; Jeune 2023).
Cet article explique comment le PITAG s’est évertué à aider les agriculteurs haïtiens dans la relance de la culture du café et comment ce Projet a su utiliser l’agroforesterie pour renforcer notre agriculture et adapter notre économie au changement climatique. L’Équipe des Partenaires Scientifiques pour la Communication de la Recherche (E-PSi-CoRe), rattachée à Haïti Sciences et Société (HaSci-So), parlera de la diversité génétique des caféiers haïtiens, de l’importance économique du café, des actions que le gouvernement peut prendre, de ce que fait actuellement la Jamaïque pour son café, et pour finir avec quelques d’exemples d’agriculteurs haïtiens qui ont pu malgré tout connaitre des succès en dépit des contraintes du pays.
E-PSi-CoRe a utilisé cinq documents clés pour la rédaction de cet article:
- Le sous-programme agroforesterie à base de caféiers (Jeune, 2023a), texte publié dans les Actes des Premières Journées Scientifiques du PITAG (Mertilus et al., 2023).
- Les principaux résultats de recherche du sous-programme « agroforesterie à base de caféiers » du PITAG (Jeune, 2023b), texte publié dans les Actes des Deuxièmes Journées Scientifiques (Alcindor et al., 2023).
- Évaluation de la Qualité des Sols dans les Systèmes Agroforestiers de Café et de Cacao en Haïti (Guervil et Jeune, 2025), texte publié dans les Actes des Troisièmes Journées Scientifiques (Augustin et al., 2025).
- Caractérisation génétique des caféiers cultivés dans le Nord et la Grand’Anse (Millet, 2025), texte publié dans les Actes des Troisièmes Journées Scientifiques (Augustin et al., 2025).
- Proposition technique : Sous-programme Agroforesterie à dominante café. Programme d’innovation Technologique en Agriculture et Agroforesterie (AVSF et al., 2018).
La lecture de ces documents, a fait ressortir les apports scientifiques du PITAG dans sa quête de rénovation de l’Agriculture haïtienne. En effet, les chercheurs ont examiné l’ADN des caféiers dans les régions Nord et Grande-Anse pour caractériser génétiquement les caféiers haïtiens. À travers le consortium, le PITAG a également développé de nouveaux modèles de systèmes agroforestiers, lesquels ont été testés sur des fermes pilotes à Beaumont (Grande-Anse) et à Dondon (Nord).
Ce que les recherches ont montré
- Un café savoureux : En récoltant les cerises de café bien mûres et en les traitant avec soin — par exemple par fermentation — les agriculteurs parviennent à produire un café noté entre 82 et 85 sur 100, malgré des conditions climatiques de plus en plus défavorables. Ce café, aux arômes fruités et à l’acidité agréable, correspond aux caractéristiques organoleptiques recherchées par les acheteurs internationaux.
- Plus de récoltes : Il est admis que les fermes avec des arbres d’ombrage et l’application de compost produisent 8 à 15 % de café en plus. La rouille touche aussi moins les caféiers en agroforesterie (soit 12 % de moins qu’en monoculture).
- Les systèmes agroforestiers à base de caféiers (SAFC) : Millet (2025) a étudié les SAFC à travers le prisme de la génétique, de l’histoire, ou encore de l’interrelation entre leurs différentes composantes. La vision des SAFC qui en émerge est celle de systèmes diversifiés à plusieurs niveaux, complexes et dynamiques (Millet, 2025).
Les recherches réalisées par le consortium dans le cadre du PITAG ont montré que les caféiers haïtiens peuvent surmonter les défis du climat. Les arbres d’ombrage et le compost augmentent les récoltes et produisent un café délicieux qui plaît aux acheteurs étrangers.
La Jamaïque investit massivement dans son café, notamment le Blue Mountain, un café de bonne qualité. Le gouvernement jamaïcain finance des pépinières, forme les agriculteurs et promeut la marque à l’international, augmentant les exportations de 30 % depuis 2015. Haïti pourrait suivre cet exemple, car nos caféiers ont une diversité génétique unique, parfaite pour les cafés spéciaux. Mais Haïti manque cruellement d’investissements importants comme à la Jamaïque, ce qui limite son potentiel de développement.
Conclusion et recommandations
Les recherches du PITAG montrent que l’agroforesterie caféière peut constituer un levier pour accroître la résilience de l’agriculture haïtienne, tout en contribuant à optimiser les services écosystémiques. Il serait très pertinent, soulignent les chercheurs, que le MARNDR : (i) organise des ateliers dans chaque commune pour apprendre à planter des arbres d’ombrage et à faire du compost. « La formation est essentielle pour diffuser les innovations », soulignent les chercheurs ; (ii) lance une campagne internationale, comme la Jamaïque avec le Blue Mountain, pour vanter la qualité du café haïtien (scores de 82–85) et attirer des acheteurs ; (iii) offre des prêts ou des subventions pour acheter des équipements de traitement du café (e.g., dépulpeuses), afin d’améliorer la qualité et les revenus ; (iv) encourage l’agroforesterie dans les zones vulnérables, comme les mornes.
Références bibliographiques
AVSF et al. (2018). Proposition technique : Sous-programme Agroforesterie à dominante café. Programme d’innovation Technologique en Agriculture et Agroforesterie.
Jeune, W. (2023a). Le sous-programme agroforesterie à base de caféiers. In. : Mertilus, F., Jean-Pierre, D., Dugué, L., Dorismond, M., Alcindor, E., et al. (2023). Contribution de la recherche agricole à la lutte contre la pénurie alimentaire et la précarité économique dans un contexte de changement climatique : Actes des Premières Journées Scientifiques du PITAG. HAL, hal-04188972. https://hal.science/hal-04188972
Jeune, W. (2023b). Les principaux résultats de recherche du sous-programme « agroforesterie à base de caféiers » du PITAG. In. : Alcindor, E., Augustin, P. G., Mertilus, F., Jean-Pierre, D., Dugué, L., et al. (2023). Contribution de la recherche-développement-formation à la souveraineté alimentaire en Haïti. Deuxièmes Journées Scientifiques du PITAG. HAL, hal-04627845. https://hal.science/hal-04627845
Millet, C.P. (2025). Caractérisation génétique des caféiers cultivés dans le Nord et la Grand’Anse. In. : Augustin, P. G., Alcindor, E., Jean-Pierre, D., Mertilus, F., Dorismond, M. (2025). Innovations technologiques pour une agriculture plus résiliente et performante en Haïti : Bilan et perspectives de recherche. Troisième édition des Journées Scientifiques du PITAG. HAL, hal-04875682. https://hal.science/hal-04875682v1
Quetya Aubin
Pôle Haïti-Antilles, Haïti Sciences et Société (HaSci-So)
Équipe des Partenaires Scientifiques pour la Communication de la Recherche (E-PSi-CoRe)
quetyaaubin25@gmail.com
Jude St-Fleur
Pôle Haïti-Antilles, Haïti Sciences et Société (HaSci-So)
Équipe des Partenaires Scientifiques pour la Communication de la Recherche (E-PSi-CoRe)
judestfleur@gmail.com