Le CPT: un an plus tard

Beaucoup de secteurs avaient souhaité ce pouvoir bicéphale. Cependant, il se trouve que cette formule a donné naissance à bien plus de « têtes » que prévu. L'objectif était de faire partir l'ancienne administration qui faisait du surplace et qui avait fini par cristalliser toutes les détestations du monde politique et de la société civile. Accablée et épuisée, l’opinion publique ne pouvait plus tolérer l’asphyxie persistante de la capitale. Combien de fois n’a-t-elle vu le gouvernement forcé de se replier sous la menace des balles des bandits ?

Le Conseil présidentiel de transition (CPT) est arrivé, et très rapidement, un scandale a éclaté. Dans un pays déjà en proie à une crise de confiance profonde, le scandale de la Banque nationale de crédit (BNC) nous a enfoncés dans une logique du pire. Pendant ce temps, les grands entrepreneurs du crime ont saisi l'opportunité pour faire prospérer leurs affaires illicites. Ils ont exploité la transition entre Ariel Henry et le CPT pour semer le chaos dans la ville. Chaque vacuité politique est une chance pour les plus habiles de nos fauteurs de guerre. Armés et puissants, financièrement et militairement, ils imposent leur loi à une classe politique trop souvent inconséquente dans ses calculs et alliances.

Le départ au forceps de Gary Conille a laissé un large boulevard aux manœuvriers de tous bords, qui se donnent à cœur joie à chaque fin de règne. Les tsars du crime ont ainsi inversé le slogan "ville par ville, quartier par quartier", le réappropriant à leur profit. Le nouveau gouvernement Fils-Aimé n'a pu éviter de se prendre les pieds dans le tapis de tensions inutiles avec la hiérarchie policière. Cette situation n’a fait qu’affaiblir l’autorité de facto, laissant place à une coalition de gangs de plus en plus organisée, qui, eux, ont appris à « vivre ensemble ». Dans une parfaite chorégraphie criminelle, les chefs de bandes, souvent en parfaite synchronisation, multiplient les fronts d'offensives dévastatrices. Au sommet de ce qui reste de l'État, on entend de loin se déchirer des lambeaux de pouvoir, témoignant de l'effritement progressif de l'autorité centrale.

Un an plus tard, avec un calendrier politique raturé et des résultats en suspens, le CPT se doit de tirer toutes les conséquences de cette situation. Mais attention aux faiseurs de pouvoirs : la fascination pour le vide politique se comble souvent très rapidement, et ce vide peut vite être occupé par ceux qui frappent aux portes de ce qui reste de la ville. À ce stade, les maîtres mots doivent être mobilisation citoyenne et... prudence quant aux alternatives. Ce qui s’est passé après les gouvernements de Jovenel Moïse et Ariel Henry devrait nous conduire à une réflexion plus profonde, rationnelle et pragmatique et des choix politiquement plus matures. Le ras-le-bol populaire ne doit pas étouffer la nécessaire réflexion stratégique.

Les Haïtiens souhaitent que la société civile et les leaders politiques adoptent une approche réfléchie et non impulsive, loin des solutions violentes. Seule une stratégie politique claire, cohérente et inclusive pourra permettre une véritable reconstruction de l'État et de la société haïtienne. La situation actuelle exige une mobilisation collective, à même de faire preuve de prudence pour éviter d'aggraver l'instabilité.

Roody Edmé

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