Nous sommes des aveugles. Nous ne pouvons même pas naviguer à vue. Les gouvernements passent et s’ils se ressemblent, la corruption prend à chaque fois des dimensions presque vertigineuse. Idem des législatures. Les élections, avec une régularité suspecte, remettent en selle… les mêmes maux.
Gouverner c’est prévoir a-t-on coutume de dire. Un chef d’État haïtien eut à lancer à un interlocuteur « Nan vennsenkan m pap la ankò » pour signifier son ennui de discussions concernant un projet s’étalant sur le long terme.
Mais malgré nous, contre nous, les autres nous scrutent, car nous pouvons constituer une menace pas seulement pour eux, mais aussi pour nous. L’aveugle peut faire des chutes mortelles s’il persiste à ne pas reconnaître son handicap. Le grand drame c’est quand il le glorifie. Il apprend alors à transformer son handicap en or.
On en a déjà parlé dans la presse, mais personne ne s’est préoccupé, à commencer par nos dits politiques… Dans une étude intitulée The Millenium Project : Latinoamérica 2030, des experts prévoient qu’en 2030, s’il n’y aura pas tellement d’écart au niveau des populations des deux pays avec un total de 25.000.000 d’habitants répartis également, le PIB par habitant en Dominicanie passera de 5.296 dollars par an à 12.000 équivalant à une progression de 126 % alors que notre pays devrait végéter avec un revenu per capita misérable de 1043 $ en 2030.
Tous les autres indicateurs restent favorables à la République dominicaine et les autres pays de la Caraïbe sur la durée intéressée par l’étude. Citons la couverture forestière de nos voisins qui restera toujours au niveau de 40% en 2030 alors que la nôtre diminuera encore. Mais chez nous, on n’a pas le droit de nous comparer aux autres. Alors que tous les pays surtout ceux partageant une même frontière sont en compétition, nous sommes presque à glorifier notre chaos, notre immobilisme, notre ignorance, jusqu’à vouloir en faire de ces maux de traits culturels à défendre à tout prix.
La question qu’on peut se poser, c’est pourquoi une société aussi menacée que la nôtre ne trouve pas les ressources nécessaires lui permettant de se retirer de ces voies qui ne peuvent faire de lui qu’un vassal permanent. On aime bien s’investir, souvent manipulé par des secteurs qui ont un agenda bien précis, dans des activités qui ne sont que des déversoirs d’émotions, mais les questions profondes, on les méconnait si on ne les évite pas tout simplement pour protéger un égo presque ridicule.
Si on continue sur cette voie de la reproduction de ces mêmes pratiques, c’est la chronique d’une mort annoncée. Pourtant jusqu’à présent rien n’indique une contestation sérieuse de ces pouvoirs qui mènent allégrement le navire vers l’iceberg. Les multiples désillusions depuis ces élections avortées dans le sang en novembre 1987 nous ont-ils transformés en des êtres sans échine et sans âme dont toute l’énergie est utilisée uniquement pour la survie ?
Gary Victor
