La mort tragique de l'un d'entre nous, journaliste, poète, est comme l'élan perdu de l'acte d'écrire et qu'on peine à trouver qu'en remettant tout en œuvre. Quelle perte catastrophique ! Quel gâchis ! Mort inutile, mort brutale qui nous assomme. La mort de Schultz Laurent Junior est celle de trop d'une jeunesse aux abois qui tourne en rond jusqu'à l'abîmer.
Je le vois encore dans mes souvenirs, traversant les rues de Port-au-Prince pour nourrir les pages des quotidiens de la place. Il savait bien que le profit était peu, mais la postérité bien grande pour construire un passé modèle de cette société de nos jours artificielle, fictive même tant la tête est bloquée dans la toile, constamment en ligne. Hélas ! La stratégie de l'isolement imposée ou suggérée par l'Occident sous un quelconque prétexte démographique leur a servi à créer des monstres qui peuvent devenir furieux rien qu'en nous voyant passer devant leurs portes.
La mort de Schultz nous renvoie vers d'autres problèmes liés à la migration. Aux États-Unis, l'immigration constitue à la fois leur force et leur faiblesse. Arriver à faire vivre côte à côte des gens de couleur, de culture et de nature différente n'est pas un exercice facile. Schultz est mort parce qu'il passait trop souvent dans une zone habitée par un de ces monstres isolés dans leur exercice de survie et de lutte face au système d'exploitation vorace et inhumaine établi dans les grandes métropoles du monde.
En voulant fuir l'insécurité, notre ami s'est heurté sur des cailloux de la modernité esclavagiste. Paradoxalement, ce qu'il croyait être de l'insécurité dans son pays, Schultz va l'apprendre chez l'Oncle Sam, longtemps vendu par nos propres compatriotes de la diaspora comme le pays de tous les rêves. Mais, ce "rêve" dit-on, a depuis disparu sous les immondices de la ville de New-York, sous les balles assassines de l'une ou l'autre ville, cachées par un certain mode d'éducation de la presse qui nous échappe malheureusement en Haïti.
Ainsi, comment récupérer cet élan perdu de cet homme plein d'humour, facile à vivre, doué de passion et d'humanité ? Comment chercher raison à cet acte effroyable au milieu de la douleur des siens ? Que nous a-t-il laissé ce pays pour apaiser nos maux et contrer la blessure au quotidien face à nous, face à nos enfants, à l'incompétence et l'amateurisme de nos dirigeants je-m'en-foutistes qui gueulent matin et soir devant nos caméras fatiguées et parfois complices ?
Jean Emmanuel Jacquet
