Originaires de Côte-de-Fer, Jésula et Fifi sont deux cousines. Belles. Attirantes. Elles vivaient sous le même toit.
Jésula constate que Fifi n’est jamais dans son lit, la nuit. Elle se demande si elle passe ses soirées à l’hôpital ? Ou bien a-t-elle trouvé un travail de nuit ?
Curieuse, Jésula part à la découverte pour savoir les raisons de cette absence étrange. Elle se rend au Sanatorium où Fifi travaille. Elle y découvre des infirmières, médecins, aides-soignants mais rien d’étrange.
Jésula retourne chez elle. Cependant, sa curiosité ne faiblit pas. Le soir venu, elle s’installe près de la fenêtre et attend patiemment le départ de Fifi pour la suivre. Elle n’a pas peur, mais sent une chaleur lui envahir le ventre. « Je veux comprendre ce qui se passe… J’aimerais savoir ! » pense-t-elle, le regard fixé dans la nuit.
La première personne qu’elle croise dans le corridor du Sanatorium, c’est un étrange monsieur : son chapeau est orné de nœuds rouges. L’homme se transforme en bœuf, sous ses yeux ahuris. Ses chaussures avancent toutes seules, compte tenu que l’animal ne pouvait pas les chausser, sa forme étant différente de celle d’un humain.
L’homme fronce les sourcils et tente de lui faire peur. Un grondement étrange se fait entendre et le voilà qui retourne brusquement sur lui-même. « Il est possédé par un lwa », murmure quelqu’un derrière elle.
La personne qui m’a confié cette histoire m’a expliqué qu’un homme appelé Décius est le chef des bandes chanpwèl de la région. C’est lui qui donne le signal des cérémonies occultes.
Dès qu’il le décide, les chanpwèl sortent de leurs cachettes, encerclent l’endroit et entament leur parcours rituel. Quand ce cérémonial prend fin — un mélange de chants, de tambours et de souffles invisibles — les loups-garous de la zone se transforment, glissant peu à peu du monde des vivants à celui des esprits.
Assise sur un tronc d’arbre, Jésula découvre sa cousine. Devant ses yeux, Fifi se transforme : elle enlève sa robe, saisit un balai… et devient un porc. L’animal s’élance vers le sanatorium. Soudain, le porc en question se métamorphose en chat et grimpe jusqu’à la fenêtre de l’hôpital. Un cri d’enfant retentit.
Jésula comprend enfin ce qu’elle pressentait depuis longtemps : sa cousine n’est pas celle qu’elle croyait.
Jésula suit la trace de sa cousine
Le lendemain, une amie de Jésula a perdu son enfant au sanatorium. Peinée par la nouvelle, Jésula tente d’alerter le personnel de l’hôpital, en révélant ce que fait sa cousine. Mais personne ne la croit.
De retour à la maison, Jésula dit à Fifi qu’elle sait tout à propos de ses escapades occultes et qu’elle veut, elle aussi, pratiquer. Fifi, comme si de rien n’était, lui propose alors de « l’aider ». Elle lui révèle que leur famille est composée de loups-garous depuis des générations. Elle invite Jésula à participer aux rituels de préparation, à devenir, dit-elle, une apprentie. Par curiosité, celle-ci accepte, juste pour « voir ».
Mais après dix-sept jours d’initiation, il est trop tard : le lien est scellé. Elle restera sorcière.
Depuis, Fifi et Jésula sont devenues les loups-garous de la zone, errant la nuit autour du sanatorium, mi-femmes, mi-bêtes, prisonnières d’un secret que nul ne veut entendre.
Lorsque Fifi quitta le sanatorium pour travailler à la clinique du docteur Raymond Martial, gynécologue-obstétricien, un phénomène inquiétant apparut : à chaque accouchement, les nouveau-nés mouraient.
Une patiente alerta alors le service d’hygiène. L’agent venu inspecter la clinique recommanda au médecin d’accorder quelques mois de congé à Fifi. Dès son départ, les nouveau-nés cessèrent de mourir.
Des fins tragiques
Informé de la situation, Dona, le chef de section, décida d’arrêter Fifi et sa cousine Jésula.
Mais, lorsqu’il voulut saisir Jésula, elle se serait transformée en porc pour échapper à l’arrestation. Fifi affirma qu’elle seule pouvait la ramener à sa forme humaine. Après hésitation, Dona accepta. Fifi demanda qu’on ne la regarde pas. À l’aide de sa cruche et de son balai récupérés sur le toit du voisin, elle accomplit son rituel. Jésula redevint humaine et fut incarcérée.
Les accusations de « loups-garous » reposèrent uniquement sur des aveux obtenus sous la torture, où Jésula finit par tout confesser.
Quant à Fifi, elle retourna au sanatorium. Mais le père d’un nouveau-né qui avait perdu son enfant, animé par la vengeance, lui donna un coup de machette dans la colonne vertébrale, la rendant tétraplégique. Aujourd’hui, elle vit à Charbonnière, dans le sud d’Haïti, prise en charge par sa filleule.
Jésula, elle, est décédée à la prison des « Recherches criminelles ». Triste destin !
Dr. Emmanuel Charles
Ethnologue
