La mort du rêve haïtien

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« Tout le monde est obligé de mourir pour la patrie, mais personne n’est obligé de mentir pour elle », Les lettres persanes, Montesquieu, 1721.                                                  

1-Le peuple haïtien n’en peut plus ; voilà l’expression le plus en vogue de nos jours dans les médias, les rues, la diaspora, les discours des personnages publics haïtiens et étrangers quand on parle de « Haïti ». Toutefois, sans être trop sceptique, on ne peut s’empêcher de se questionner, si ces gens ont vraiment conscience de la gravité de la situation que traduit cette expression ’’Crise en Haïti”.

2-Scientifiquement ce quoi une crise ?

Une crise est un fait commun à l’humanité Karl Marx Philosophe allemand, théoricien de la révolution communiste, dans son ouvrage, « Le Manifeste du parti communiste », publié en 1848, considère la crise comme étant le moteur de toute société, dans le sens qu’elle est inhérente à la nature humaine et annonciatrice de changement.

3-Toutes sociétés ont connu de crise, mais leurs dirigeants soucieux, responsables ayant le sens du devoir ont su faire face aux difficultés en apportant la solution adéquate au profit de leur peuple. En effet, la société haïtienne a connu beaucoup de crises dans son histoire de peuple. On peut même dire que la crise fait partie de la construction historique de l’État haïtien au point qu’un éminent intellectuel haïtien, Yves DORESTAL, a affirmé dans un tweet relayé par la radio Métronome et je cite : « Il n’y a qu’une chose qui n’est jamais en crise en Haïti c’est la crise elle-même », fin de citation.

4-Le peuple haïtien, après la lutte héroïque ayant conduit au renversement du régime dictatorial des Duvalier en 1986, cherchait un moyen pouvant amener l’État sur la voie démocratique afin d'établir l’état de droit au sein duquel le processus de changement peut être amorcé et atteint. Dans ce soulèvement, la fougue qui animait le peuple haïtien fut remarquable. On pourrait constater une volonté manifeste des forces vives de la nation pour se débarrasser de ce régime qui, à tout prix, voulait priver les jeunes intellectuels, les penseurs, les opposants au régime notamment la presse haïtienne de leur liberté d’expression et voire de faire des propositions d’une nouvelle alternative pour une société plus juste au profit d’une nouvelle génération.

5-Malgré les obstacles à l’aspiration du peuple de solliciter du régime une vie meilleure, sous l’impulsion populaire, les opposants farouches à ce régime d’alors ont créé un ensemble d’institutions, adoptant une constitution visant à instaurer la démocratie dans la vie politique haïtienne. L’objectif c’était d’orienter le pays vers le changement tant rêvé.

6- Ce cercle d’histoire est inscrit comme étant une réforme démocratique. Cependant, après plus d’une trentaine d’années, la situation devient beaucoup plus chaotique au point qu’une fuite à outrance de cerveau s’est développée en Haïti vers certains pays de l’Amérique du Sud, du Nord, centrale et de la Caraïbe : comme la République dominicaine et le Brésil en quête de sécurité et de paix. Le jeune haïtien se trouve entre le désarroi et le désespoir à la suite des résurgences des crises en Haïti.

 

Mise en contexte. –

Tout au long de la guerre de l’Indépendance d’Haïti de 1804, le peuple haïtien a construit son destin sur la base de l’unité et du vivre ensemble en chassant les colons qui veulent absolument exploiter nos richesses dans la colonie de St Domingue et nous réduisent en esclavage. Cette unité nous a permis de vaincre à l’époque l’armée la plus puissante du monde qui était celle de Napoléon. De là, nous avons tiré notre devise qui est : « Liberté, Egalité, Fraternité » pour la conquête de cette terre sous les griffes des colons. Deux cent vingt (220) ans plus tard, où en est-on ? Peut-on continuer à être fier de cette conquête ? Avons-nous concrétisé notre rêve ? Sommes-nous encore sous une nouvelle emprise coloniale ?

 

La résurgence des crises post-dictatoriale et le jeune haïtien. -

Tout Etat a connu de crise, mais pour celui de Haïti c’en est trop. Presque deux siècles et un quart (1/4) d’histoire depuis la construction de cette nation, ce mot continue de s’installer dans notre annale. Le peuple n’arrive pas à connaitre des jours meilleurs. Les filles et fils de la nation font face à des dirigeants parfois incompétents et irresponsables. Ils ne respectent pas leurs engagements, sinon que de nous enfoncer dans la crise.

  1. Haïti fait face aujourd’hui à une crise multidimensionnelle et pluriforme. Ce qui est en grande partie le résultat des coups d’État de 1991 et 2004. Dans cette tranche d’histoire, il y a la création du (CNG) Conseil National de Gouvernement (1986-1988), la présidence du Dr. François MANIGAT 1988, la gouvernance du putschiste Prosper Avril de 1991-1994, le premier coup d’État du Président Jean Bertrand Aristide en 1991, le deuxième coup d’État de Jean Bertrand Aristide 2003-2004. Elle a connu des élections truquées. Nos compatriotes ont subi des assassinats, des exécutions, la disparition des opposants et l’exil forcé. Ces évènements ont aussi donné naissance à une crise économique, politique, sociale, humanitaire et sécuritaire. De plus, on a connu aussi des crises liées au tremblement de terre du 12 janvier 2010, époque marquant la fin du mandat du Président René Garcia PREVAL. On peut citer : la crise humanitaire, sécuritaire, d’infrastructure sanitaire et de logement.

La crise va continuer à s’envenimer avec la gouvernance de Michel Joseph MARTELLY. Ce dernier, dans l’une de ses promesses de campagne, proposait d’apporter une solution à la crise d’habitat résultant du séisme de 12 janvier 2010, mais au lieu de résoudre ces situations en cascades, il a tenté de transmettre le pouvoir à son poulin Jovenel MOISE, tout en laissant comme actif : la corruption passive et active comme le détournement de fonds publics, le trafic d’influence, la violation des normes de passation des marchés publics et le détournement de biens publics entre autres.

  1. À la fin du mandat de monsieur MARTELLY, une transition est dirigée par monsieur Jocelerme PRIVERT qui, lui-même, a fait un deal politique en partageant des postes avec ses partenaires politiques comme les parlementaires et les opposants du régime Martelly. D’où un partage de gâteau avec presque tous ses opposants pour gérer son pouvoir et maintenir le statu quo. Donc, tout pour les politiciens et rien pour le peuple.
  1. Monsieur Jovenel MOISE, après 22 mois de campagne électorale, a finalement accédé au pouvoir. Son quinquennat marqué par des crises sans pareille, orchestrées par une opposition farouche, l’empêchait d’honorer ses promesses de campagne, malgré sa majorité fonctionnelle au parlement. Le Président Moïse a fait son mandat sous la menace de l’opposition politique composée d’une bonne partie de la société civile, des Organisations des Droits Humains, du Pouvoir judiciaire qui aspiraient à remplacer le Président sous le fallacieux prétexte que son mandat de cinq (5) ans est arrivé à échéance le 7 février 2021 au lieu de 7 février 2022. Là encore, une nouvelle crise vient de naître. Ces éternels opposants ont utilisé une bonne partie de la presse de la Capitale pour stigmatiser le Président sur tous les fronts. Finalement il a été assassiné au pouvoir dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021. Quel est l’avenir du jeune haïtien dans tout ça ? Dossier à suivre.
  1. Depuis bien des temps, on a pu constater que le peuple haïtien en a marre de ses dirigeants qui ne sont pas potables. Ils sont menteurs, cruels, corrompus, avares, immoraux. Le constat d’échec de nos dirigeants rend quasiment invivable le pays au point qu’une bonne partie de la population ont choisi l’exil. Donc c’est le déclin de la confiance dans l’État.

1-De René Garcia PREVAL qui ne se soucie guère de l'intérêt général et conseille au peuple de se débrouiller pour gagner son avenir avec un slogan (naje w pou w soti).

2-Michel Joseph MARTELLY lui-même, au lieu d'exercer cette fonction pour refaire son passé honteux et orienter le destin de la nation, préfère partager le minimum qui restait dans la caisse publique avec ses copains à travers des projets bidons, et pour ironiser la population, il déclare : Quand on devient Président on comprendra, comme slogan (Lè w Prezidan wa konprann).

3-Monsieur Jocelerme PRIVERT, Président d’une transition après Martelly, après avoir passé un an au pouvoir, a partagé la richesse de l’État aux ténors du pouvoir de l’époque, à certains organismes des droits humains et de médias influents de la capitale ainsi qu’aux oligarques puis il demande à l’ethno :  est-ce que ça dérange ? « Ça dérange » ?

4-Quant au Président défunt Jovenel MOÏSE, qu’on ne cesse de qualifier de fieffé menteur, il a été contraint de distribuer le peu qui reste dans la caisse de l’État déjà dilapidé par ces prédécesseurs et requiert à la communauté de suivre son regard, avec sa fameuse formule « suivez mon regard ». C’était une manière de demander au peuple de regarder les oligarques qui lui font des menaces puisqu’il les empêchait maintenant de contourner davantage les ressources de l’État. Il a été également matraqué par cette opposition pour le projet caravane de changement dont il était initiateur pour désenclaver certaines sections communales de certaines villes. À remarquer que ce mouvement a créé de nouveaux riches, le jeune haïtien en particulier et le peuple en général n’ont rien bénéficié dans la foulée.

5-Arrivé enfin au Premier ministre/Président Ariel HENRY qui, nommé par le Président Jovenel MOÏSE avant son assassinat, sans légitimité, ni légalité, ni la confiance de la population, devient le seul légataire du défunt. Le roi HENRY demande aux habitants d’ouvrir leurs yeux, sa formule à lui c’est : « kale je w ». Ainsi, l'espoir du jeune haïtien s'efface au quotidien dans ce schéma.  

 

Le jeune haïtien entre le désarroi et le désespoir.-

  1.  Le désarroi du jeune haïtien.

1-Haïti est le seul Etat où ses dirigeants ne savent pas combien de nationaux sont à l’extérieur voire pour savoir ceux qui sont en situation régulière ou irrégulière. C’est un problème migratoire mal géré par l’administration de l’État. Pourtant une bonne partie du budget national découle de la diaspora haïtienne pour remplir l’assiette fiscale de l’État. Dans ce contexte, on pourrait se demander si les dirigeants haïtiens n’ont pas poussé les jeunes intellectuels à fuir leur pays pour s’immigrer ailleurs ?  

2-Depuis un bon bout de temps, on a pu assister à un déclin de savoir professionnel et intellectuel du jeune haïtien. L’État a poussé ses jeunes intellectuels à prendre la fuite à la recherche d’une terre d’asile, avec un phénomène de gang et de kidnapping dans presque toutes les régions du pays. On voit le jeune haïtien est devenu nomade, il est forcé de prendre la fuite à la recherche d’une vie meilleure soit en république Dominicaine, au chili, au Brésil, en Guyane, à St Thomas, aux Iles Turques et Caïques (Turks and Caïcos), à la Dominique, à Curaçao, au Panama, à Nassau Bahamas, à Aruba, Mexique puis les États-Unis, le Canada ou la France pour les plus chanceux. Ces endroits deviennent l’Eldorado pour les jeunes haïtiens, malgré les Humiliations rencontrées au quotidien. Les dirigeants les jettent dans la confusion totale, le trouble profond au point de renoncer à leur fierté de peuple.

3-Parlons de peuple, Éric ZEMMOUR, journaliste et homme politique français, refuse de considérer les Haïtiens comme un peuple, malgré il sait sciemment ce qu’on a réalisé en 1804 face à l’armée napoléonienne. Dans un discours il a déclaré que : « les Haïtiens ne sont pas un peuple, mais un groupe de personnes vivant sur un même territoire qui n’ont ni un lien de fraternité ni un sentiment d’appartenance et encore moins une volonté de vivre ensemble ».  En effet, le mot peuple est un concept polysémique et sur le plan juridique se définit comme « l’ensemble des individus constituant une nation, vivant sur un même territoire et soumis aux mêmes lois, aux mêmes institutions politiques ». Donc, en fonction de notre histoire, on pourrait déduire qu’Éric ZEMMOUR a eu tort, mais la direction qu’ont donnée nos politiques à cette nation semble confirmer ces dires au fil du temps. Le peuple haïtien est pris dans un complot politico-diplomatique composé de nos dirigeants et des représentants diplomatiques formant un syndicat de diplomates en Haïti. Ce fut le cas du Sahara occidental ou l’Espagne et le Maroc, sous la complicité d’un petit groupe de politiques qu’on pourrait appeler en Haïti mercenaire politique, ont déstabilisé le Sahara.

 

  1.  Le jeune haïtien : le suicidé du désespoir.

1-Consterné par la situation politico-diplomatique du pays et après avoir constaté que la force des armes prime sur la pensée, le jeune haïtien perd tout espoir. Et selon toute vraie semblance, les gangs sont presque tous en lien étroit avec les anciens et les actuels dirigeants de la nation, en attestent les rapports des Nations-Unies ou d’autres États tiers. Les gens se font kidnapper à longueur de journée ; les femmes, les filles, les petits garçons et même les hommes se font violer. La classe moyenne devient sans ressource pour répondre au quotidien ; le peuple est de plus en plus sans alternative. Il est devenu prisonnier dans sa demeure. La seule voie offerte aux jeunes haïtiens est celle de l’exil vers le pays voisin ou l’Amérique centrale à savoir la République dominicaine, le Nicaragua ou de rester en attente d’un courriel dans le programme « Humanitarian Parole » dit Biden. L'espoir en est où dans cet état de fait ? En effet, le rêve haïtien est mort et cela est dû au désespoir qui prévaut en Haïti. En fait, quand on voit que nos anciens et nouveaux dirigeants sont sanctionnés par les Nations Unies et certains pays de la communauté internationale pour avoir contribué à miner le pays par des gangs armés et sont imprégnés dans la corruption y compris la classe des affaires, on comprend bien que leur projet n'était autre chose que de réduire à néant le peuple haïtien en le consumant par le banditisme.

2- Le rêve haïtien est mort quand on constate que nos parlementaires qui devraient contrôler les actions du gouvernement, s’associent avec l’exécutif et profite de l’inefficacité de la justice à cause de sa mauvaise administration pour piller la collecte des contribuables sans donner de service en retour. Le rêve haïtien est mort quand les parlementaires se passent de leur mission pour s’entendre avec certains agents de l’exécutif pour rançonner le peu de ressources de l'État notamment la collecte de 1,50 $ de la diaspora. Ils détournent les engins lourds à leur profit, notamment les véhicules de l’État mis à leur disposition. Voler l’État n’est pas « voler » n’est-ce pas ? Les politiques ont tué le rêve haïtien par la multiplication de groupes de gangs armés sur tout le territoire national particulièrement à Port-au-Prince. Le rêve haïtien s'envole en éclat lorsqu’un petit groupe qui se dit secteur privé monopolise le marché haïtien sous forme d’élitisme commercial par le principe d’exclusivité des produits provenant des marchés internationaux pour écouler leur produit sur le marché national, pourtant ils ont le contrôle de tous les postes douaniers sur le territoire. Enfin le rêve haïtien est mort lorsqu'on constate que l'administration publique est devenue le symbole de la corruption et il est tout à fait difficile d'établir une différence nette entre un voleur, un élu et un fonctionnaire public. Cependant aucune œuvre publique n’a pas été réalisée et le peu qu'on a est dû à la bonne grâce de la communauté internationale. Donc, la devise ce n’est plus servir l’État, mais se servir de l’État.

3-Enfin, le rêve haïtien ne peut être ressuscité que par le réveil national et ce réveil ne peut être que le fruit d'une prise de conscience populaire. Restaurer la sécurité sur tout le territoire national.  Donner l’opportunité aux filles et aux fils de la nation qui ont pris l’exil forcé de retourner et d’apporter leur contribution à la cause du peuple. Créer l’existence d’une classe de leaders responsables ne peut se faire que dans une construction d'ensemble impliquant l'engagement des citoyens honnêtes et conséquents. Le rêve haïtien sera ressuscité lorsqu’on aura une justice forte et indépendante avec des personnels judiciaires compétents, spécialisés et bien rémunérés. Le rêve haïtien pourrait être ressuscité par une préparation générationnelle fondée sur l’investissement dans l’éducation comme dit le dicton savoir c'est pouvoir. Le rêve haïtien sera ressuscité par l'émergence d’une classe politique responsable, honnête et patriote et par l'éviction des apatrides sur la scène politique.

 

 

Bibliographie :

Montesquieu, les lettres persanes, publié en 1721.

Karl Marx, le Manifeste du parti Communiste, publié en septembre 1848.

La constitution d’Haïti de 1987.

Dictionnaire le petit Robert, Nouvelle édition.

Yves DORESTAL, tweet publié par Radio Métronome.

Emission télévisée CNews, Paris, 8 juillet 2021

Rapport du Conseil de Sécurité sur les sanctions appliquées aux acteurs politiques haïtiens qui soutiennent la violence et la corruption en Haïti.

 

Fait au Canada, le 18 décembre 2023.

 

                                                    Me. Lucien Georges.

                                                    Avocat au barreau d’Aquin

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