l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti : Bref état des lieux au regard de ses missions

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Introduction

Depuis le 29 février 2024, l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) est fermé, occupé et vandalisé par des bandits lourdement armés. Cependant au-delà de cet aspect conjoncturel dont on n’est pas encore sorti, il convient d’insister sur le fait que cette institution hospitalière, qui reste le principal centre hospitalier de l’aire métropolitaine est dans un état de dysfonction avancé et qui s’aggrave au fil du temps. Une telle situation est extrêmement préoccupante et, si rien n’est fait, on risque de voir rapidement le nouvel HUEH que nous attendons tous avec impatience depuis une dizaine d’années, connaître le même sort que l’actuel. Voilà pourquoi il m’a semblé utile de tirer une fois de plus la sonnette d’alarme sur cette situation catastrophique, en soulignant que rien n’est encore inéluctable ; tout est question de volonté et de courage politiques. C’est le sens de cet état des lieux de l’HUEH au regard de sa triple mission de soins, de formation et de recherche que je soumets à la critique des lecteurs du Nouvelliste en général et des autorités du Ministère de la Santé publique et de la Population et du pouvoir politique en particulier.    

 

II. Rappel des missions dévolues à tout hôpital universitaire

Un hôpital, pour être qualifié d’universitaire, doit remplir trois missions fondamentales :

  • la 1ère est celle de la prestation de soins médicaux à la population qu’elle dessert.

Elle peut être considérée comme la plus importante des trois et relève de la responsabilité régalienne du Ministère de la Santé ; elle se suffit à elle-même. Autrement dit, il est possible pour un pays, de disposer d’un excellent hôpital dans lequel les gens reçoivent des soins d’un très haut standard, sans qu’il porte le nom d’hôpital universitaire et sans qu’il en ait la vocation ;

  • la 2e est celle d’enseigner et de former les futurs médecins, les médecins diplômés en vue de l’obtention de compétences particulières, les infirmières et autres cadres dont le pays a besoin dans les différents domaines des sciences de la santé.  
  • la 3e  est celle de réaliser des recherches fondamentales et/ou cliniques dans les domaines médical et paramédical.

Évidemment ces deux dernières missions, du ressort principalement de l’université, sont étroitement liées à la première, et fortement dépendantes d’elle. On ne saurait concevoir, en effet, une formation de qualité, ou la mise en place d’un programme de recherche dans une structure de soins défaillante, dysfonctionnelle. 

S’agissant de corroborer ces quelques assertions, l’exemple du Luxembourg est intéressant. Ce pays a fait le choix jusqu’à présent de n’offrir aux jeunes qui désirent embrasser la carrière médicale que la première année du 1er cycle des études médicales, les étudiants ayant réussi cette première étape allant poursuivre leurs études dans les universités partenaires à l’étranger. Et pourtant le Luxembourg dispose d’un hôpital de très haut standard, le Centre hospitalier du Luxembourg (CHL), qui figure parmi les 750 hôpitaux à travers le monde accrédités par Joint Commission International, institution conforme aux normes d’accréditation de ladite commission à 98%. Cet hôpital, sans avoir le label universitaire reçoit des étudiants en médecine ou des diplômés en formation spécialisée sur la base de conventions particulières passées avec des universités étrangères, notamment françaises et belges

 

II. Quid de l’HUEH ?

L’HUEH, aujourd’hui, en tant qu’institution hospitalo-universitaire, reste, en dépit des efforts consentis depuis près d’une année par le nouveau Directeur exécutif, une institution totalement dysfonctionnelle au regard de sa triple mission, cette assertion faisant abstraction de la situation conjoncturelle actuelle.

 

En effet :

  • la prise en charge au plan diagnostique et thérapeutique des malades qui le fréquentent est de qualité douteuse, pour ne pas dire plus
  • la formation des étudiants en médecine tout comme celle des résidents en spécialités laisse énormément à désirer avec des lacunes importantes, comme nous le verrons ci-dessous  
  • les activités de  recherche y sont embryonnaires, pour ne pas  dire quasi-inexistantes.

 

La cause profonde de cet état de fait ?, une DÉFAILLANCE  DE  GOUVERNANCE.

Cette défaillance, tout autant administrative qu’universitaire, se manifeste par le fait que :

  • l’HUEH n’a pas le contrôle de son budget de fonctionnement pour ne pas dire qu’il n’en dispose que sur papier ;
  • l’HUEH n’a pas le contrôle de son personnel, chacun y faisant à sa guise ;
  • l’HUEH n’a dans son agenda ni plan stratégique de développement ni objectifs prioritaires. Le pilotage se fait à vue, principalement dans le contexte de l’urgence à la manière des pompiers
  • l’HUEH méconnaît tout ce qui est procédure, et si d’aventure une ligne de conduite est prévue dans la résolution d’un conflit ou dans tout autre domaine, elle n’est pas respectée ;
  • l’HUEH ignore tout de la notion de reddition de comptes…

 

III. À la recherche d’une solution

Quels pourraient être les voies et moyens pour remédier à cet état de fait ?

Nos réflexions nous ont amené à penser qu’il faudrait agir à tous les niveaux et le plus rapidement possible, en inscrivant nos actions dans le sens d’une amélioration notable et continue des performances de l’institution dans ses trois missions essentielles.

Nous avançons ici quelques pistes de solution en espérant que tous ceux qui s’intéressent à la question voudront bien les prendre en considération pour les compléter, les critiquer et faire des suggestions d’enrichissement au besoin

Nous pensons pour notre part que ces voies et moyens devraient passer obligatoirement par :

  • l’octroi d’une véritable autonomie à l’institution hospitalière, dont le périmètre devra bien entendu être défini. À ce sujet, il est à noter que l’arrêté du 26 septembre 1968 dotant l’HUEH de règlements généraux et toujours en vigueur, accorde une autonomie financière relative à l’HUEH puisqu’il stipule en son article 7.1 : « Elle [l’administration de l’HUEH] gère les fonds alloués ou légués ainsi que les recettes internes de l’Hôpital ». Cette disposition légale n’a pourtant jamais été totalement respectée, le budget de l’hôpital n’existant, comme nous l’avons dit plus haut, que sur le papier. C’est donc l’un des combats majeurs à mener si nous voulons réellement faire un jour de cette structure un vrai hôpital universitaire, et ce combat n’est pas gagné d’avance. Nous devons commencer dès maintenant à l’engager. Bien entendu cette autonomie devra être étendue à la gestion du personnel de l’institution. Sa concrétisation passe par la mise en place d’un Conseil d’administration aux pouvoirs étendus, sur le modèle de celui qui avait été instauré en 1987 par le ministre Lominy. Ceci peut être fait très rapidement, car il s’agit de volonté politique, ni plus ni moins ; et en ce sens je pense personnellement qu’il y a une véritable fenêtre d’opportunité qui s’offre à nous. J’ai en effet  entendu le Premier ministre, le Dr Garry Conille au lendemain du grave  incident de santé qui l’avait amené à être hospitalisé au courant du mois de juin dernier ; il a eu à dire qu’il avait compris ce qui aurait pu lui arriver s’il était un quidam n’ayant comme seule option que l’HUEH ; il me semble qu’il ne s’agissait pas simplement d‘un propos tenu dans le contexte d’une charge émotionnelle intense. J’attends maintenant qu’il passe de la parole aux actes en mettant tout en œuvre pour que l’HUEH puisse reprendre ses activités le plus rapidement possible ; en prenant l’initiative d’un décret accordant l’autonomie financière et administrative à l’HUEH dans le cadre d’un projet pilote ; en demandant au ministre de la Santé publique et de la Population de mettre en place  un groupe de travail composé de membres du Ministère et de l’HUEH pour définir le périmètre de l’autonomie de l’institution et élaborer le contenu de l’arrêté d’application du décret ; en s’assurant que le décret et son arrêté soient scrupuleusement respectés ; avec bien entendu, en contrepartie la mise en place de procédures de reddition de comptes dont on n’a pas la culture à l’HUEH et qui devront être pleinement et strictement respectées, sous peine de sanctions dans le cas contraire
  • la révision de l’ensemble des textes réglementaires et procéduraux régissant le fonctionnement de l’HUEH ;
  • la révision des tâches, qui gagneront à être détaillées, et responsabilités des différents acteurs de l’institution: chefs de service, médecins de service, membres de la  Direction de la Résidence hospitalière et de la Recherche (DRR), coordonnateurs de formation dans les différents services, internes et résidents. Il s’agira d’organiser la prestation des soins et aussi de se pencher sur la formation des étudiants, internes et résidents ;
  • la révision des mécanismes et procédures d’évaluation des internes et résidents ;
  • l’élaboration d’une nouvelle conception des stages pour les étudiants de la faculté…

 

IV. Quelques considérations spécifiques sur la résidence hospitalière

Comme souligné dans un article paru dans la version ʺ on line ʺ du Nouvelliste du 19 juillet 2024, la Résidence hospitalière n’a pas échappé à la dégradation générale de l’HUEH en particulier  et de l’ensemble des autres centres hospitaliers universitaires publics, affiliés à la FMP en général. Cette détérioration de la résidence hospitalière en charge de la formation des spécialistes dont le pays a besoin, comme je l’ai souligné dans l’article cité plus haut, impacte sévèrement tous ses aspects, qu’il s’agisse :

- des modalités de recrutement et de choix des postes nullement basées sur l’équité et le mérite ;

- des programmes de formation et de leur durée

- de l’encadrement quotidien des résidents dans leur apprentissage visant l’acquisition de compétences spécifiques

- de leurs évaluations périodiques et finales ;

- de leurs conditions de vie et de travail

- des aspects disciplinaires.

Cette dégradation oblige à se questionner sur la qualité réelle des spécialistes que nous mettons sur le marché du travail et nécessite la mise en chantier d’une réforme en profondeur de la résidence hospitalière qui ne peut plus attendre.

 

Rappelons pour terminer que la résidence hospitalière est une responsabilité partagée entre :

  • le Ministère de la Santé publique et de la Population à qui revient la responsabilité de déterminer le profil des spécialistes à former en fonction des besoins en santé de la population et de la politique nationale de santé des autorités ; de fixer le nombre de postes de résidents mis chaque année au concours ; de prendre en charge les aspects administratifs ; et encore plus de mettre à la dispositions du pays des centres hospitaliers universitaires dignes de ce nom et sans lesquels il est illusoire de penser qu’on puisse atteindre l’objectif de former de façon adéquate ou même simplement acceptable les spécialistes dont le pays a besoin ;
  • l’Université par l’intermédiaire de sa Faculté de médecine qui a pour responsabilité de bâtir les programmes de résidence et leurs curricula au mieux en collaboration avec les sociétés savantes; d’évaluer les résidents formés en vue de leur certification ; et le cas échéant de les certifier en tant que spécialiste ;
  • les centres hospitaliers universitaires en charge, par l’intermédiaire des acteurs de terrain que sont les chefs de service et leurs médecins de service, de la formation pratique au quotidien des résidents ; et par l’intermédiaire de leurs directeurs de formation de s’assurer, en collaboration avec les directeurs de programme de la faculté que les curricula développés sont bien appliqués.  

 

Dr Rodolphe Malebranche

Chef du Département de Médecine à la FMP

Directeur de la Direction de la Résidence hospitalière et de la Recherche de l’HUEH

 

 

r_malebranche@yahoo.fr  

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