Historiquement, l’État de droit remonte en plein milieu du 19e siècle en Allemagne, mais a connu une évolution distincte du modèle originel supposant une orientation nouvelle vers des éléments de finalité que sont : les droits fondamentaux et les droits de la personne en général, la justice, la liberté, la dignité humaine, le respect des minorités, ainsi que de la démocratie.
Dans une perspective de démocratisation de la vie politique, certains États Européens ont inséré cette notion au niveau de leur texte constitutionnel, renforçant ainsi leur arsenal juridique.
L’Allemagne a donné le ton au gré des exigences du Rechtsstaat au terme des articles 28 de la Loi fondamentale du 23 mai 1949. Dans cette même veine, l’Espagne en a aussi emboité le pas dans sa constitution du 27 décembre 1976 reconnaissant officiellement l’État de droit dans le préambule et l’article premier. Ainsi, le Portugal l’a fait dans l’article 2 de la constitution du 02 avril 1976.
Dans la revue scientifique « les cahiers de droit », Daniel Mockle (1994) traitant de l’État de droit et la théorie de la rule of law a souligné une absence de reconnaissance officielle de cette notion dans les textes constitutionnels des États comme la France et l’Italie mais a toutefois précisé que la notion de l’État de droit occupe une place déterminante dans les réflexions de la doctrine publiciste.
Maintenant, quid du droit dans un État ? Le droit est l’instrument de régulation de toute société humaine. Cela va de soi que l’anomie n’existe pas dans les sociétés humaines, d’après Drieu GODEFRIDI dans son article intitulé « État de droit, liberté et démocratie ». Il y faut toujours des normes qui réglementent la vie en société, qui dictent le comportement de chaque membre du corps social et qui fixent en même temps les pouvoirs de l’État tout en les encadrant.
Aussi, le droit et l’État, se fondant sur la doctrine du légicentrisme, entretiennent-t-ils de rapports étroits. Ce qui revient à dire qu’il ne peut exister d’État sans le droit. Il faut, dans tout projet visant à bâtir un État au sens démocratique, opter pour le renforcement du rôle du droit pour le bon fonctionnement de la vie en société.
Bernard LUISIN(1999), dans son livre « Le mythe de l’État de droit » a reconnu que la définition de cette notion fait rarement l’unanimité, a précisé que l’État de droit recouvre trois dimensions différentes qui font prévaloir tantôt un système de normes hiérarchisées, tantôt la limitation du pouvoir de l’État. Il faut préciser que c’est le juriste austro-américain Hans Kelsen qui a été le premier à poser les fondements de cette notion.
Évidemment il l’a fait dans son ouvrage intitulé « Théorie pure du droit ». Godefridi quant à lui, a opté pour une définition normative et institutionnelle en faisant le lien entre l’État de droit et la démocratie. Pour lui, ce concept marche de pair avec la démocratie. D’ailleurs, il n’est pas le seul à le reconnaitre. Car il y a Eric MILLARD( 2004) dans ses critiques formulées sur l’État de droit qui déclare ce qui suit : « il est entendu par tous que l’État de droit est paré d’un ensemble de valeurs aptes à réaliser la démocratie et protéger les libertés en ce sens qu’il implique la liberté de décision des organes de l’État qui doit tenir compte de l’existence d’un ensemble de normes hiérarchisées, dont le respect est garanti par l’intervention d’un juge ».
Alors, par rapport à tout ce qu’implique le terme État de droit, essayons de le regarder d’un point de vue constitutionnel et du point de vue de l’application de ce droit, dans une perspective capable de favoriser la gouvernance démocratique, au regard de l’État haïtien, comme mode d’organisation juridico-social et politique.
Où en sommes-nous en Haïti par rapport à ces approches traitant de l’État et relevant du droit ?
Historiquement, Haïti se révèle un pays jonché d’interminables crises de toutes sortes. Le paysage politique haïtien est marqué tantôt par des assassinats de présidents, de renversements de présidents via des coups d’État sanglants, tantôt par la rédaction d’un nombre inimaginable de constitutions (22 si on omet celle de 1801) ainsi que par la mise en veilleuse des constitutions quand il arrive que cela ne plaise aux intérêts de ceux qui dirigent.
En effet, depuis tantôt une décennie nous assistons à une panoplie d’évènements qui entravent le quotidien des haïtiens empêchant la tenue d’un environnement favorisant la bonne gouvernance du pays. Les droits fondamentaux des citoyens haïtiens en particulier ceux habitant les quartiers populaires sont systématiquement violés à longueur de journées. Cette situation de barbaries des gangs fait des milliers de déplacés. Les massacres se multiplient. Port-au-Prince et le pays tout entier est devenu inhabitable. Et le Conseil Présidentiel de Transition peine à donner une réponse satisfaisante. Les actes de violences notamment celles basées sur le genre sont devenues monnaie courante au mépris des conventions internationales que Haïti a pris l’engagement de respecter. La sécurité reste un défi majeur pour l’État haïtien. Le climat de kidnapping reprend ses droits de cité et n’épargne personne.
Dans cette vaste atmosphère d’insécurité sordide qui a prévalu depuis des lustres, même le Président de la République d’alors Jovenel Moïse est touché. Ce qui vient ajouter au malheur de ce pays, car un tel acte assassine les valeurs républicaines et rend encore difficile la vie démocratique dans un pays se trouvant déjà au bord du gouffre. Ajouté à cela, il y a le bâtonnier Monferrier Dorval qui est tombé sous les balles assassines chez lui. Nous vous épargnons de mettre en vue tant d’autres cas d’assassinats spectaculaires qui ont terni l’image de l’État de droit dans le pays. Pire encore c’est que la justice haïtienne demeure encore incapable de faire véritablement la lumière sur tout ce qui s’est passé. Aucun procès n’a encore lieu pour juger et condamner les coupables pour la perpétration de ces actes odieux.
Malgré l’existence des institutions démocratique et républicaine enclines à favoriser la bonne gouvernance, le pays sombre. La corruption s’érige en système. Aucune élection depuis 8 ans.
La constitution continue d’être l’objet de violations systématiques. Les partis politiques qui ont aussi un rôle à jouer dans l’établissement de l’État de droit, beaucoup de leurs leaders sont soupçonnés de corruption et sont du même coup l’objet de nombreuses sanctions internationales. Ces dernières sont aussi étendues à quelques personnalités relevant du monde des affaires, bref de la société civile. De là, nous sommes en droit d’affirmer que nous assistons à une crise sans précédent de l’État de droit en Haïti.
Inéluctablement, cette crise multiforme qui sévit depuis trop longtemps en Haïti se révèle lourde en termes de défis liés à l’instauration d’État de droit et est marquée par des difficultés persistantes entravant la gouvernance démocratique du pays.
La question sécuritaire et de l’impunité est l’un des principaux obstacles à la construction de l’État de droit en Haïti. La crise sécuritaire, a pour sa part, des conséquences dévastatrices sur la sécurité des personnes et des biens, alors que la lutte contre l’impunité demeure largement inefficace.
Ces problèmes ont sapé la confiance des citoyens dans les institutions et fragilisent davantage l’État de droit.
L’inadéquation entre les prescrits constitutionnels et la pratique observée dans la gouvernance du pays reste également un défi majeur dans la difficile trajectoire de l’État de droit en Haïti.
Outre tout cela, il est à déceler la non tenue des élections depuis huit (8) ans dans le pays et celles-ci quand elles parviennent à se tenir sont toujours chaotiques, compromettant ainsi la légitimité du système démocratique et le plein exercice de la démocratie.
Des institutions sont certes prévues par la constitution de 1987 amendée, mais restent incapables de remplir leur rôle de garant de l’exercice de l’État de droit.
À quoi sert une norme dans une société si elle n’est pas effective ? A quoi sert-elle si les institutions qui sont appelées à la faire appliquer sont dysfonctionnelles ou tout simplement inexistantes ?
Le principe de la hiérarchie des normes étant un élément crucial de l’État de droit n’est-il pas heurté quant à son application dans notre fonctionnement en tant qu’institution démocratique ?
Nous avons beau avoir des institutions qui sont prévues au niveau de la constitution et celles-ci sont de manière évidente apte à assurer le jeu de l’État de droit et de la démocratie. Cependant, l’insouciance ou le manque de vision empêche soit leur effectivité soit leur mise en place.
Fort de toutes ces considérations, le constat est que le chemin vers la consolidation de l’État de droit en Haïti est long et difficile, mais il est essentiel pour l’avenir du pays. Car il est temps de reconstruire l’État haïtien en passant par le renforcement des institutions qui met en exergue la justice constitutionnelle, consistant à harmoniser les actions assorties de la gestion de la chose publique avec les prescrits de la Constitution, tel que le prescrit Millard (2004) dans son texte « L’État de droit, idéologie contemporaine de la démocratie ». Et par là, Haïti peut ouvrir de nouvelles perspectives pour un développement durable et une société juste et équitable.
Edvado Clemente JnMary GERMAIN
Licencié en Droit