Université et gouvernance en Haïti: expression d'une dialectique de l'échec de la raison théorique et de la raison politique 

Port-au-Prince n'est pas une ville universitaire. Mais, elle reçoit  la majorité des demandes d'étude supérieure et universitaire, malgré l'impossibilité de circulation sécurisée des citoyens  qui caractérise cette capitale, depuis quelques années. Cela s'explique par l'échec de l'université dans sa mission de guider la société dans ses modes de gouvernance. En effet, incapable de proposer des modèles d'intervention relatifs à l'aménagement territorial, aux dynamiques démographiques, au plan de sécurité nationale, au système de sécurité sociale, aux politiques économiques génératrices d'emplois, l'université est au nombre des victimes de toutes les formes d'insécurité caractérisant les modes de gouvernance étatique. Aussi, elle reflète l'image de la société qu'elle devrait corriger, guider, et accompagner dans la voie de démocratisation tracée après la chute de la dictature de 1957. Ce qui peut nous amener à nous interroger sur la signification d'un renouvellement du conseil administratif de cette institution gardienne du drapeau de la souveraineté nationale haïtienne. Que signifie l'élection des membres du conseil de l'UEH dans la conjoncture de crise d'insécurité qui affecte toute la société ?

La gouvernance politique , la production economique, l'organisation de la sécurité nationale, la gestion sociale d'une société etant soumise à la raison théorique, l'université est et doit etre le premier lieu de debat de ces questions. C'est pourquoi tous les États rationnels s'ingénient pour garantir à cette institution tous les moyens nécessaires pour former les cadres compétents de leur bureaucratie , promouvoir la science par l'enseignant du savoir rationnel et scientifique,  et réaliser les recherches opératoires pour l'efficacité de leur mode de gouvernance publique. Même si au regard de la logique de l'exercice du pouvoir, les autorités voudraient se soumettre l'allégeance et la bonne volonté des scientifiques et universitaires pour leur confort au cour des jeux de renouvellement mandataire.

A cet égard, on conviendrait que l'UEH est et a toujours été une institution mise en marge des préoccupations de l'état haïtien. En effet, avec le montant misérable de sa part budgétaire dans le budget national, cette institution n'a jamais pu se donner un véritable campus à la fois centralisé et régionalisé, bien équipé de tous les logistiques nécessaires à l'enseignement, a la recherche, et au fonctionnement des différentes facultés des études. C'est par suite de cette négligence étatique que le discours de réforme de cette institution d'études universitaires est devenu une permanence sans effets positifs, avec les différentes crises électorales relatives au renouvellement de son conseil administratif. A fortiori, la crise de l'UEH, dont la revendication des réformes est l'une de ses expressions médiatisées, n'est que la manifestation d'une dialectique de la crise sociétale haïtienne . C'est-à-dire,   l'échec de l'université d'état d'Haïti dans ses  missions d'enseignement, de promotion, et de production de la science qui doit guider l'État, et aussi l'échec de cet État dans ses rôles d'organiser et de financer l'espace social public de la réalisation de cette triple mission universitaire.

Par suite de cette explication, la solution ne peut être que l'effet d'une autre dialectique entre la raison théorique comme attribut de l'Université et la raison politique fondée sur celle-là comme attribut de l'État. Il revient donc de considérer la réflexion universitaire comme un impératif pour fonder la rationalité et l'efficacité de l'action étatique. Ce qui se traduirait par l'exigence platonicienne impliquant que l'homme politique doit être savant.Et a défaut de l'être , il doit être conseillé par le savant. Et pour le dire autrement avec une terminologie Weberienne, pour que l'action politique trouve sa base rationnelle, elle doit s'inspirer de la réflexion de l'homme de science. Aussi, le savant haïtien se doit toujours d' éclairer le politique qui veut etre rationnel du point de vue de son action, et de la double éthique de responsabilité et de conviction dont parle Max Weber pour fonder la morale de l'homme d'État.

 

Cheriscler Evens

Professeur et journaliste

Pour une Université qui guide l'action de la gouvernance étatique !

11 mars 2025

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