Dans la série «Enfants embrigadés dans des gangs armés en Haïti», nous consacrons un 5e article sur les dilemmes de la politique sociale de l’État en matière de protection de l’enfant avec une attention aux enfants embrigadés dans les gangs armés. En effet, la presse est la scène où prévalent des parades des officiels qui convergent leur point de vue sur la question des Enfants embrigadés dans les gangs armés. Ce qui pourrait empiéter sur la politique implicite de l’État en matière de protection de l’enfant. Les déclarations successives des officiels tels que représentants de la présidence, ministre des Affaires sociales et représentants de collectivités locales se tournent autour du modèle d’internement et de redressement social qui domine les expériences de politiques de protection de l’enfant. C’est un paradoxe du fait du questionnement de ce modèle par les Nations Unies et qu’Haïti ait adhéré à des dispositions et orientations afférentes à la promotion du milieu ouvert et la réunification familiale. Toutefois, le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant peut justifier des interventions à caractère d’internement. Il convient de définir les aléas qui renvoient à l’intérêt supérieur de l’enfant proprement dit. Ce qui peut relever de la compétence des juges du social soit toute intervenante sociale ou tout intervenant social dans son intervention qualifiante.
De nos jours, L’Institut de Bien-Etre social et de Recherches (IBERS) créé en 1958, une institution spécialisée sur la question de la protection de l’enfance a déjà eu à initier des projets pilotes d’intégration des enfants et des jeunes en situation difficile dans les familles d’accueil avec le support d’un protocole adopté à cette fin, en termes de standards mimima.
Les déclarations qui font objet de notre réflexion sur le problème des enfants embrigadés dans des gangs armés sont celles de conseillers présidentiels du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) complétées par de récents interviews des magistrats M. Ralph Youri Chevry de Port-au-Prince et M. Wilson Jeudy de Delmas à Radio Métropole dans l’Emission Le Point. En effet, le président du Conseil présidentiel en date du 18 mai s’est exprimé en ces termes :«N ap gade lavni ak yon seri de dispozisyon nou pran pou resevwa timoun yo met zàm nan men yo nou bay yon lot chimen .Fanm ti fi yo matirize yo vyole n ap louvri sant pou ankadre yo». Jusque là, le concept de centre d’encadrement serait l’équivalent du modèle concret du Centre d’Accueil Duval Duvalier fondé en 1960 qui se prête à être considéré comme un mythe. Car les résultats qu’on lui a attribués ne relèvent que de la perception dans la mesure où ce centre ne fait que reproduire la population d’enfants délinquants. Le ministre des Affaires sociales et du Travail (MAST) s’inscrit dans cette même voie en misant sur des établissements d’internement pour assurer la réinsertion sociale des enfants à savoir la réforme du centre d’Accueil de Carrefour et la récupération du centre de Delmas 3 dysfonctionnel depuis le contrôle de ce quartier par des gangs. Il fait aussi référence au Centre de Rééducation des Mineurs en Conflit avec la Loi (CERMICOL) comme centre de rééducation des jeunes en conflit avec la loi pour faire face au problème des enfants embrigadés dans des gangs armés. Il y a lieu de noter que le CERMICOL n’a jamais été cohérent par rapport à sa mission de rééducation sociale sinon s’érige en une forme de prison. Dans le contexte actuel, il fonctionne de manière flagrante comme une prison dans la mesure où des prévenus adultes femmes et hommes se sont entassés avec des jeunes.
Les maires de Carrefour, de Port-au-Prince et de Delmas adhèrent eux aussi au courant de réinsertion dans des établissements fermés sur les traces des représentants du Pouvoir exécutif pendant que l’opinion publique est aussi favorable à cette idée.
«Les établissements de prise en charge réunissent des orphelinats, foyers pour enfants, centres de prise en charge, prisons, centre de détention, maison de redressement, etc. Ils sont ouverts ou fermés et puissent être gérés par le gouvernement, le privé, des tiers ou des organisations non gouvernementales. Les garçons et les filles qui y vivent courent de risques élevés de violence que ceux qui sont avec leurs parents. L’on enregistre de la maltraitance. En plus l’isolement et la stigmatisation alimentent des comportements violents. Beaucoup se retrouvent dans des centres pour être pauvres et sans-abri, du fait avoir commis des infractions liées à la petite délinquance. Le personnel est souvent mal formé et volontariste. L’empilement se fait en dépit de l’âge, du sexe ou du niveau de vulnérabilité. Des retards peuvent être enregistrés dans le développement, les tendances au suicide.
La convention relative aux droits de l’enfant demande que les Etats fournissent une protection spéciale aux enfants privés de leur milieu familial (Art.19, 20). Le risque accru de violence que courent les enfants placés dans des établissements oblige les États à prendre des mesures législatives et d’autres mesures supplémentaires efficaces pour protéger ces enfants contre la violence et à réduire considérablement le nombre d’enfants placés et détenus. Selon la Convention, les enfants doivent grandir dans leur milieu familial. L’enfant pour l’épanouissement harmonieux de sa personnalité doit grandir dans le milieu familial dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension »(Pierre, 2005).
La politique sociale de protection de l’enfant fait face à un dilemme éthique quand les approches d’intervention se sont dépassées au regard de conventions internationales signées par l’État haïtien et par rapport à l’avancée de la méthodologie du travail social avec des enfants et des jeunes en milieu ouvert et dans les structures d’accueil alternatifs. Les officiels semblent s’écarter des prescrits et engagements pris auprès des institutions internationales pour se confiner dans des formules pragmatistes qui auraient frisé le populiste.
Aussi la Stratégie nationale de Protection de l’Enfant (SNPE) » s’ajoute-t-il comme un instrument pour aborder le problème des enfants. La vision de la SNPE est la suivante « la création d'un environnement protecteur qui garantit le développement et l’épanouissement de tous les enfants ». Elle est guidée par sept principes dont quatre sont tirés de la Commission relative aux droits de l'enfant: la non-discrimination, intérêt supérieur de l'enfant, suivie et développement. Les autres sont l’œuvre des acteurs impliqués dans la protection de l’enfant : l'engagement de tous les acteurs dans la protection de l’enfant, le respect pour tous les droits des enfants, la participation des communautés et des familles.
Tout se joue par rapport au respect du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant dans un contexte de recrutement des enfants et des jeunes dans des gangs armés criminels et de dilemme dans la politique implicite de l’État en matière de protection de l’enfant.
Hancy PIERRE
Repères bibliographiques
- Monferrier Dorval (1985), Le centre d’accueil Duval Duvalier, situation, diagnostic et proposition. Faculté des Sciences humaines, Université d’État d’Haïti, Haïti,. Non publié.
- Hancy Pierre (2005), « l’insertion sociale des jeunes enrôlés dans les institutions d’internement en Haïti : enjeux et perspectives ». In Les cahiers du Cepode, No 5, 5e année, Éditions Cepode, Port-au-Prince, pp179-206.
-Hancy Pierre (2021). “ABCedaire de malathion d’une tranche d’histoire d’Haïti 1957-1986.La question de la protection de l’enfant durant le régime des Duvalier”. In le Nouvelliste .
-Jean Michel HAUTEVILLE (2024) « Un rapport dénonce le recrutement massif d’enfants par les gangs en Haïti » in Le Monde du 10 octobre 2024.