En guise de réaction à la tribune de M. Sonnet St Louis parue dans Le National, « Pourquoi les intellectuels haïtiens les plus brillants sont-ils toujours attaqués ? »

Un intellectuel brillant, est-il celui qui arrive à proposer des solutions créatives à nos problèmes de société ? Est-il celui qui propose une vision d’avenir libératrice pour l’humanité ou sa communauté, ou celui qui arrive à formuler une nouvelle théorie de notre réalité afin de bien la cerner et la transformer ? Est-il celui qui a le courage d’affronter les défis de notre époque et de trouver des réponses appropriées ou porteuses ? Ou celui qui participe à une œuvre sociale émancipatrice ?

 

Ou bien, est-ce simplement celui qui est détenteur d’un diplôme universitaire, qui arrive à justifier et à défendre ses propres magouilles, ses farces ou ses pillages, dans un bon français, avec des tournures astucieuses ? Celui à qui on excuse la complicité dans ce qui a concouru à ruiner l’État et le pays, parce qu’il a encore des amis, dans le milieu intellectuel ou académique, qui n’ont pas le courage de se défaire de la mentalité clanique et de gang, au profit des intérêts supérieurs de la Nation ?

 

M. Sonnet a gagné mon respect de par ses interventions périodiques et notamment, à l’occasion d’émissions radiodiffusées auxquelles j’ai participé avec lui. Ses analyses juridiques et considérations politiques sont toujours judicieuses et pertinentes.

 

À la lecture de son texte et à la question posée, tout en évitant les détails superficiels, je me fais le devoir de cautionner la prudence dans sa perspective et les déductions qui en ressortent.

 

Je remplis ce devoir, en ayant la certitude, jusqu’à preuve du contraire, que les opinions de M. Sonnet sont  honnêtes, et que les positions philosophiques, idéologiques et politiques qui en découlent méritent d’être débattues, mieux encore exposées.

 

M. Sonnet commence son interrogation sur une prémisse de la notion de démocratie et de l’exercice du pouvoir qui est fausse et opportuniste, dans sa conception même : « En démocratie, ce n’est pas l’origine du pouvoir qui est le principal critère, mais plutôt son exercice… »  Cette définition ne colle à aucune des théories des grands ténors et défenseurs de cette forme de gouvernance ou d’organisation politico-sociale. Ça aurait pu être le sujet d’une thèse intéressante, si M. Sonnet n’avait pas conclu, en disant : « J’ai appris cela du professeur Lesly Manigat qui a dit une fois, qu’il n’a pas échoué, mais qu’il a failli réussir… » Réussir pour qui et dans  l'intérêt de qui ? Avec une telle mentalité, tout pourrait être justifié. Celui qui cambriole une banque et qu’on met aux arrêts pourrait prétendre avoir voulu nourrir les gens du Nord-Est – « je n’ai pas échoué, j’ai failli réussir. » Cela pourrait être les propos démagogiques d’un Barbecue dans un an.

Quand on fait quelque chose de noble, on n’a pas besoin d’expliquer à la population les nuances entre la réussite et l’échec, car l’échec dans l’action, ayant à coeur  l'intérêt  de la population, est un échec collectif. En 1991, après sept mois de pouvoir, un coup d’État survint. La population savait que c’était son pouvoir et sa volonté qui avaient été violés. Cela s’est fait sentir dans les rues. Pas d’explications nécessaires.

Je ne voudrais pas nier ici, qu’il y ait des aventures politiques personnelles ou collectives, non orthodoxes, traditionnelles ou même moralement inconciliables, qui peuvent réussir et donner lieu à quelque chose de libérateur et d’inattendu, dans le contexte démocratique auquel il fait référence. N’était-ce pas le cas pour Hugo Chavez qui a été en prison pour un coup d’État raté et finalement a pris le pouvoir, pour le grand bien de sa nation ? Néanmoins, ces aventures sont toujours aux risques et périls de ceux qui les tentent. Et ici, on parle d’actions politiques.

 

Selon la logique de M. Sonnet, même dans son contexte dit démocratique, un coup d’État quel qu’il en soit, ne devrait pas être considéré comme intolérable, ni l’assassinat d’un président, car, selon lui : « … il faut toujours tenter quand on est bien intentionné, surtout en politique… La politique s’apprécie par moment : il n’y a pas de ligne droite, dit-on. » Là vraiment, c’est tiré par les cheveux. M. Sonnet dit à nos jeunes que tous les chemins mènent à Rome, il suffit de tenter sa chance, pour la réussite personnelle, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit. Et, si l’on échoue, après avoir conduit la population en enfer, on pourra toujours clamer qu’on avait pavé le chemin de bonnes intentions.

 

En dehors de toutes théories moralistes et de perspectives idéologiques de gauche classique, il y a des chances à prendre, des réalités socio-politique et économique qui existent dans certaines conjonctures, en dehors de notre volonté, qui peuvent donner lieu à n’importe quelle mouvance ou initiative politique, dont on n’a pas le contrôle de la finalité, de la réussite ou l’échec. Mais, on ne peut pas tout justifier, comme si tout était relatif, qu’il n’y avait ni de bien ni de mal en politique et que c’était uniquement le résultat qui comptait. Et même là encore, si les résultats d’une aventure personnelle de trahison malsaine s’avéraient néfastes, on peut toujours se racheter avec les prétendues bonnes intentions.

 

Historiquement, le dilemme politico-idéologique a savoir, que faire, dans des conjonctures difficiles, a toujours bouleversé les hommes politiques, dans les grands tournants de l’histoire.

 

N’était-ce pas le contenu du différent qui opposait Deng Xiaoping a Mao Zedong, avant la mort de ce dernier, sur l’attitude a adopte vis a vis de la « Russie révisionniste », en plein essor. Mao était partisan du respect des principes révolutionnaires communiste et de l’autonomie de la chine. La position de Deng se résumait ainsi : « qu’importe que le chat soit noir ou blanc, pourvu qu’il mange les souris. » La ligne de Deng Xiaoping, que certains ont trouvée opportuniste, l’a remportée, a la suite de ce qui s’apparentait à un coup d’État, a l’intérieur du parti communiste chinois, après la mort de Mao. La politique de Deng Xiaoping a emmené la Chine à ce qu’elle est devenue aujourd’hui. Mais les deux intentions étaient claires, elles préconisaient une Chine forte et prospère, aux prix de sacrifices énormes, sans avoir à s’enrichir personnellement au détriment de l’État et passé inutilement sur les cadavres des Chinois.

 

En fait, je ne doute plus que Sonnet ne croit pas à son interrogation, c’est une certitude, quand plus tard, dans son texte, on réalise que l’introduction et l’utilisation de Lesly Manigat n’étaient là que pour venir à la rescousse de Wilson Laleau et de Josué Pierre Louis.

 

Personnellement, je n’ai jamais compris l’obsession des lettrés haïtiens pour la personne de Lesly Manigat. Je dirai seulement que c’était quelqu’un qui était foncièrement anti- peuple. Et c’est bien peut-être cette qualité-là, ou ce défaut-là, selon votre perspective, qui justifie l’admiration de la part de cette confrérie de « grands intellectuels. » Je ne sais pas ce qui caractérise Wilson Laleau, ou Josué Pierre-Louis comme grands intellectuels, sinon leur diplôme universitaire, alors un titre qu’on pourrait attribuer à tous les professeurs d’université.

 

En quoi ont -ils contribuer ? On ne connaît même pas la perspective politique ou idéologique de ces messieurs. On pourrait certes arguer qu’un tel était un bon professeur, un tel autre un bon fonctionnaire, etc. Mais un grand intellectuel ? La question reste posée.

 

Pire encore, en dépit du fait que j’ai toujours eu des divergences idéologiques avec Lesly Manigat, du comparé avec les amis de Sonnet, qui ont d’avantage la réputation « d’opportuniste » est une grave injustice au professeur/président. Contrairement a Manigat qui fut pendant longtemps professeur à l’Université, écrivain prolifique, fondateur d’institutions académiques avant qu’il ne soit devenu un home politique publique, il n’en est rien des amis de M. Sonnet. Ils ne sont pas connus au titre d’intellectuel. Manigat a peut-être failli réussir, au risque de sa vie. Qu’ont-ils risqué ces messieurs ? Bien au contraire, selon les rapports de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif, la plupart d’entre eux ont, en effet, « réussi ».

 

L’intention, ici, n’est pas d’insulter, mais de faire un point plus important, puisque Sonnet lui-même, parle de collaboration avec un gouvernement qu’on désapprouve. Il y a un amalgame sans nuance qui est fait, d’Aristide à Laleau, en passant par Jacques Édouard Alexis et Manigat. Comme si tous ces personnages étaient les mêmes et se ressemblaient et qu’ils ont été toutes victimes de diffamation. Comme s’il n’y avait aucune vérité dans aucun de ces cas. Alors, ne faudrait-il pas innocenter tout le monde ? N’est-ce pas là, la plus grande attaque sur l’intelligentsia haïtienne, particulièrement, ceux qu’on aurait pu caractériser d’intellectuels valables et reconnus, ayant fait leur preuve?

 

Il est à se demander, si ces deux messieurs n’ont pas dû recourir au thé verveine, quand ils ont lu les propos de Me St Louis, les comparant à Lesly Manigat.

 

Ce que M. Sonnet ne dit pas, j’espère par simple négligence, c’est que certaines de ces personnes font partie et travaillent pour le statu quo, avec des alliés étrangers, contre les intérêts du pays, alors que certaines autres sont attaquées et diffamées par le statu quo et leurs alliés étrangers, encore contre les intérêts du pays.  On ne peut pas mettre tout le monde dans le même panier, comme victime de diffamation. Sinon, bientôt, ce sera le tour des Ti Claude Joseph, de trouver des amis pour crier diffamation.

 

M. Sonnet doit savoir qu’il y a une différence entre les personnes que l’on n’aime pas et ceux qui ont volontairement fait du mal au pays.

 

Jacques Édouard Alexis était ciblé par la communauté internationale, particulièrement le Canada. De même qu’Aristide, par la France et les Américains. Sans vouloir tout justifier de leur choix de politique social et économique, ces deux hommes étaient dans une dynamique où ils avaient de puissants ennemis qui s’opposaient à leur politique. Pour ce qui est de Laleau, il était ministre des Finances d’un pouvoir qui a dilapidé des fonds destinés à aider au développement du pays, entre autres. Peu importe combien il a pu subtiliser lui-même, on parle d’un crime financier énorme, qui dans une certaine mesure, nous a conduits là où nous en sommes aujourd’hui. On peut se tromper pour un mois, un an, mais on ne peut pas faire le trajet de bandit légal avec une équipe pendant plus de sept ans et vouloir se présenter comme grand intellectuel, quand le moment est venu de rendre des comptes. Cela est également vrai pour Josué Pierre-Louis, car on ne parle pas de simple fonctionnaire ou de professionnel qui a besoin et a le droit de travailler. On parle de hauts fonctionnaires de L’État. Si eux ne sont pas responsables, qui l’est ? Et même quand les cinquante juges corrompus, nommés par ce même pouvoir, les auraient trouvés innocents, la population connaît la vérité. Elle sait qu’ils ont servi dans un gouvernement qui a détruit le pays, tout « grand intellectuel qu’ils soient ».

 

Le plus grand tort à mon avis, n’est pas le fait qu’ils soient dénoncés et exposés, mais qu’on essaye, de préférence, de redorer leur blason sous le label de grands intellectuels.

 

Il est vrai qu’il y a un certain nivellement par le bas, une culture à écarter tout ce qui est académique, intelligentsia ou même logique dans l’intérêt populaire. Mais quelle supercherie de targuer de grands intellectuels, ceux qui ont eux-mêmes servi un président qui ostracisait les détenteurs d’un diplôme universitaire. Voilà de grands intellectuels qui aident à mener campagne contre l’intelligence, les études et la scolarité qui offrent comme exemples la débauche, la corruption, la gabegie et l'indécence.

 

Hum, à bien réfléchir, je ne devrais pas répondre à la question de M. Sonnet, mais simplement lui demander, qu’est-ce qui vous arrive, qu’est-ce que vous avez bu ? Fini, le café fort pour vous ?

         

Certainement, je plaisante, car elles sont rares, les têtes comme celles de M. Sonnet et il nous faut sauver tous ceux qui peuvent l’être, de cette déchéance qui nous fait perdre souvent notre boussole et des compétences impossibles d’évaluer.

         

Nous rêvons tous de militer en faveur de notre pays dans notre domaine et de montrer au monde que nous pouvons faire mieux. Eh oui, il est vrai que les opportunités ne viennent pas toujours comme on l’aurait souhaité et il faut faire des choix difficiles. Mais on ne peut pas aimer le sexe et garder sa virginité ; si on prend le risque d’un acte sexuel, il faut en assumer les conséquences. Et quand nos amis ou nous-mêmes traversons « to the dark side », il faut que nous l’assumions! Evans Paul certainement n’aurait jamais été Premier ministre dans son secteur de l’opposition traditionnelle, un environnement politico-démocratique, avec dans son entourage, un Gerard Gourgues de regretter mémoire, et consorts, qui ne voyait en lui qu’un activiste-militant et courageux, dont les capacités intellectuelles et la vision lui font défaut. Ils avaient peut-être raison. Par contre, sous Martelly, il a décroché le gros lot, l’opportunité de sa vie : il est devenu Premier ministre et a même entraîné, avec un peu de réticence, le professeur Victor Benoit dans son gouvernement. Personne ne peut reprocher à Evans Paul d’avoir fait son choix ; personne ne peut l’obliger à passer le reste de sa vie comme simple militant et activiste des conjonctures difficiles. Mais, ce serait de la supercherie, de le vendre, à présent, comme un grand militant de la cause populaire. Ce serait encore pire de le présenter, à la Sonnet, comme un grand politicien, parce que Télé Métropole ne trouve aucune autre personnalité politique à interviewer sur les grandes questions étatiques qui dominent l’actualité politique.

 

M. Sonnet doit admettre, depuis l’avènement au pouvoir de ses amis « grands intellectuels », que les compétences politiques et les pratiques administratives au plus haut niveau de l’État sont déplorables et vont de mal en pis. Il nous faut des hommes lucides, courageux et compétents, pour renverser cette situation. Le titre de grand intellectuel ne suffit pas. 

 

Je ne connais pas l’agenda qui anime le questionnement de M. Sonnet, mais je crois qu’il connaît déjà la réponse à sa question. J’espère que ce n’est qu’un moment de trouble et de remise en question qui le fait douter. J’espère gagner son amitié en lui offrant du courage et un peu de clarté, pour qu’il se reprenne.

 

Juste un rappel : Certains de nos intellectuels qui sont qualifiés de brillants sont toujours attaqués, parce qu’ils ont été toujours du mauvais côté de l’histoire et des intérêts du peuple haïtien : la célébration du centenaire et du bicentenaire de l’indépendance ; le massacre à la ruelle Vaillant pour accéder au pouvoir, un pouvoir et une élection rejetés par le peuple ; le coup d’État de 2004 ; les prestations publiques de certains autres intellectuels dans certaines conjonctures pour défendre le statu quo et l’international au détriment des intérêts du pays ; la participation de Laleau et de Josué, comme hauts fonctionnaires de l’État, dans un gouvernement qui a subtilisé les fonds de Petro Caribe, sous le leadership d’un président qui a admis avoir « volé » des fonds et les avoir investis dans des hôtels et avoir admis lui même qu’il n’aurait jamais dû être président. Je n’affirme pas que ces personnes n’ont jamais rien fait de positif, mais dans leur palmarès, ce qui est retenu, en caractères gras, c’est qu’ils ont fait, ou participé à faire du mal au pays. Et pour cela, ils méritent d’être exposés et même plus! Ou « attaqués », selon vous. Seul espoir d’une prise de conscience.

 

J’ai lu dans le texte, des affirmations sur la situation des femmes dans notre société et certains défis sociaux-culturels auxquels nous devrions faire face et surmonter. Ces situations ne peuvent en aucun cas justifier la promotion de ces personnes, dont certaines que je connais personnellement. Particulièrement Josué Pierre-Louis, avec qui j’ai eu l’occasion de collaborer fructueusement par le passé ou même Evans Paul, un ami de longue date, qui communiquait avec moi, au moins une fois par semaine pendant longtemps, avant qu’il ne devienne Premier ministre ? Mais, ici, nous parlons d’un pays. M. Sonnet doit réaliser qu’il est de bon ton que nous assumions notre opposition à nos adversaires, mais encore plus, et surtout, nos divergences avec nos amis.

 

Avec amitiés et considérations,

Garaudy Laguerre.

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