Le 1 octobre, le ministre de l’Éducation nationale, Antoine Augustin, promet d’ouvrir les portes des écoles. Pourtant, moins d’un mois auparavant, ce même ministre, la voix tremblante, a choqué l’opinion publique en confessant : « Lèkol la kraze » (L’école est brisée).
Ce cri ne provient pas d’un observateur extérieur, mais de l’homme chargé de diriger le système scolaire. Comment peut-il simultanément dénoncer un effondrement total et prétendre aujourd’hui que tout est prêt pour accueillir les élèves ?
Un ministre pleurant sur ses propres ruines
Lors d’une émission YouTube, Antoine Augustin a tenté la franchise, voire la brutalité : bâtiments en ruines, enseignants découragés, élèves abandonnés, zones scolaires contrôlées par les gangs. « Lèkol a kraze », a-t-il déclaré, comme s’il n’en portait aucune responsabilité.
Pourtant, qui occupe ce poste stratégique sinon lui ? Qui a le devoir de proposer des solutions et de mobiliser l’État sinon lui ? Son cri ressemble moins à un aveu de lucidité qu’à une démission morale : un ministre qui pleure mais ne gouverne pas.
Les faits brutaux qu’il ne peut effacer
Aucun slogan ni date au calendrier ne peut masquer la réalité. En 2024, 284 écoles ont été détruites, dont 47 incendiées en janvier 2025 à Port-au-Prince, selon l’UNICEF. Le Cluster Éducation rapporte 959 établissements fermés fin janvier 2025. Les données de l’UNICEF révèlent qu’un enfant sur sept est déjà exclu du système scolaire, avec près d’un million risquant l’abandon définitif.
L’ONU signale 1,3 million de déplacés internes, dont beaucoup logés dans des écoles transformées en abris où les pupitres sont devenus des lits. Le recrutement d’enfants par les gangs a augmenté de 70 % en 2024, Reuters notant que jusqu’à la moitié des membres de gangs sont des mineurs.
Voilà la toile de fond de l’« ouverture » du 1 octobre : une ouverture sur des décombres.
Des annonces cosmétiques
Pour créer l’illusion d’une rentrée viable, Augustin brandit quelques chiffres : subventions MonCash pour les parents, « 48 écoles nationales déjà opérationnelles » dans la capitale, paiement symbolique d’un quatorzième mois aux fonctionnaires. Ce sont des pansements sur un cadavre.
Aucun plan clair pour reconstruire les écoles détruites. Aucune stratégie pour sécuriser les zones scolaires. Aucun mécanisme solide pour retenir les enseignants. Aucune solution pour les familles déplacées vivant encore dans les salles de classe. Pourtant, il ose affirmer : « le pays est prêt pour l’ouverture des classes ».
L’école comme théâtre politique
Cette rentrée annoncée n’est pas une politique éducative mais une mise en scène. Elle crée l’illusion d’un État fonctionnel, contraint les familles à un choix impossible entre l’école et la survie, et transforme l’éducation en mirage alors qu’elle devrait être un droit.
L’ouverture du 1 octobre est un mensonge collectif, une couverture médiatique destinée à masquer l’échec ministériel.
Lettre ouverte à Antoine Augustin
Monsieur le Ministre,
Vous avez déclaré devant toute la nation : « Lèkol a kraze ». Vous n’êtes ni journaliste ni simple citoyen indigné. Vous êtes le chef du système scolaire. Quand vous pleurez sur des ruines, ce sont vos propres ruines.
Maintenant, vous osez annoncer une rentrée ? Vous n’ouvrez pas les écoles, Monsieur le Ministre — vous ouvrez un gouffre.
Vous envoyez les enfants s’asseoir sur des pupitres inexistants, écouter des professeurs absents, étudier dans des salles occupées par des familles déplacées. Vous exigez qu’ils traversent des quartiers contrôlés par les gangs pour apprendre à lire. Vous appelez cela l’éducation ? C’est une trahison.
Vous ne rouvrez pas les écoles ; vous condamnez une génération.
Vous connaissez la vérité : sans sécurité, les écoles sont des zones de non-droit. Sans enseignants payés, les classes sont des coquilles vides. Sans bâtiments, l’éducation n’est qu’un slogan creux.
En prétendant rouvrir les classes, vous mentez au pays, insultez les parents et abandonnez les enfants. L’histoire ne retiendra pas votre cri de vérité mais votre hypocrisie : avoir dit « Lèkol a kraze »… puis orchestré sa fausse résurrection.
Monsieur le Ministre, quand un responsable admet que « tout est brisé » mais fonce néanmoins tête baissée, il ne gouverne plus — il trahit.
Conclusion
Le 1 octobre, Antoine Augustin n’ouvre pas les classes. Il ouvre une plaie béante dans la conscience nationale. L’éducation n’est pas une scène politique mais une promesse d’avenir. Sous sa direction, cette promesse a déjà été brisée.
Aujourd’hui, le plus grand danger pour l’éducation haïtienne n’est pas seulement les gangs ou la pauvreté. C’est d’avoir un ministre qui crie « tout est détruit »… mais choisit quand même de faire semblant.
Professeur, Pierre Richard Raymond
Le 1 octobre 2025, New York, USA.
Sources :
UNICEF. (2025). Statistiques sur la crise éducative en Haïti. UNICEF Haïti.
Cluster Éducation. (2025). Données sur les fermetures d’écoles, Haïti. Rapports du Cluster Éducation Haïti.
Organisation des Nations Unies. (2025). Déplacements internes et situation humanitaire en Haïti. OCHA ONU.
Reuters. (2024). Recrutement d’enfants par les gangs en Haïti. Rapports d’enquête Reuters.