La passion pour le football transcende les frontières et crée des identités qui se manifestent souvent avec une intensité remarquable. En Haïti, un phénomène intrigant a émergé : la division des supporters entre les équipes nationales du Brésil et de l'Argentine. Ce clivage est d'autant plus perplexe dans un pays qui a une aversion séculaire contre l'esclavage, le colonialisme et le racisme. Pourquoi, alors, des Haïtiens semblent-ils se ranger derrière des couleurs qui, dans leur essence, pourraient symboliser des histoires de discrimination et d'inégalité ?
Histoire et contexte: Brésil vs Argentine
Brésil
L'héritage de l'esclavage au Brésil est profondément ancré, avec des millions d'Africains déportés entre le XVIe et le XIXe siècle. Cette diversité raciale a engendré une culture où les identités noires et métisses sont intégrées dans le tissu social. Malgré un racisme omniprésent, le Brésil a souvent été perçu comme une "démocratie raciale", une notion qui prétend que toutes les races coexistent harmonieusement. Cependant, cette vision est largement critiquée pour sa superficialité, masquant les inégalités raciales et les discriminations persistantes[1].
Argentine
À l'inverse, l'Argentine a connu une immigration européenne massive à la fin du XIXe siècle, façonnant ainsi une identité nationale centrée sur ses racines blanches. Les politiques d'immigration ont favorisé les Européens, tandis que les populations afro-argentines ont été marginalisées et souvent effacées de la mémoire collective. En conséquence, la sous-représentation des Afro-Argentins dans des domaines comme le sport et la culture est frappante, renforçant une image nationale qui cherche à se conformer à des standards européens[2].
Fanatisme en Haïti: une réflexion des identités
Au sein de la communauté haïtienne, la passion pour le football brésilien et argentin n'est pas simplement une question de performance sur le terrain, mais plutôt un reflet des constructions identitaires et des perceptions culturelles. Les fans brésiliens, souvent issus de milieux plus diversifiés, peuvent voir dans l'équipe brésilienne une représentation de leur propre lutte contre les stigmates du racisme et de l'exclusion. En revanche, les supporters argentins, même en reconnaissant les critiques sur le racisme, peuvent être attirés par l'image d'un pays qui se présente comme un modèle de réussite européenne.
Cette dynamique souligne une certaine ambivalence: les Haïtiens, qui ont combattu pour leur liberté et leur dignité, peuvent se retrouver à soutenir des équipes dont les histoires et les identités raciales sont souvent en contradiction avec leurs propres luttes. Ce phénomène peut être perçu comme une forme de déni ou de rejet des réalités historiques, où le football devient un terrain d'affrontement idéologique et identitaire.
Critique du racisme en Argentine
Les critiques du racisme en Argentine sont indéniablement fondées dans un récit historique qui a systématiquement marginalisé les Afro-Argentins. Alors que les débats sur la race et l'identité sont souvent compliqués par un déni collectif en Argentine, l'absence de diversité dans l'équipe nationale de football illustre une exclusion qui se prolonge au-delà du sport, touchant divers aspects de la vie quotidienne. Les Afro-Argentins continuent de faire face à des discriminations dans l'accès aux opportunités économiques et sociales, soulignant ainsi un héritage d'exclusion qui persiste[3].
Conclusion
La passion pour le football en Haïti, marquée par une division entre les supporters du Brésil et de l'Argentine, révèle des identités complexes et des luttes historiques. Ce phénomène met en lumière les constructions sociales qui, même dans un pays ayant une forte aversion contre l'esclavage et le racisme, peuvent parfois favoriser des affiliations contradictoires. Pour une véritable avancée vers l'égalité, il est essentiel de reconnaître et de valoriser la diversité raciale et culturelle qui façonne non seulement le football, mais aussi l'identité nationale haïtienne.
Dr. James Joseph (Didi)
Références
1. Telles, R. (2016). Racial Democracy: A Myth in Brazil.
2. Davis, C. (2017). The African Diaspora in Argentina: History and Legacy.
3. Mignolo, W. D. (2011). The Darker Side of the Renaissance.
