On a tout dit, tout écrit sur cette belle et tonifiante victoire de la sélection haïtienne de football le 18 novembre, victoire face au Nicaragua qui la qualifie pour la Coupe du Monde 2026. J’ai lu des poèmes touchants, j’ai entendu des hommes dire combien ils ont pleuré de joie. Comme tous les Haïtiens et Haïtiennes, je dis merci et bravo aux Grenadiers, au sélectionneur, et au staff technique. Merci pour cette joie et cette fierté immenses dont nous avions tant besoin aujourd’hui. Il me semble que l’on ne souligne pas suffisamment le fait que c’est une femme, Monique André, qui dirige la Fédération Haïtienne de Football en cette saison où la moisson est si belle. Je demande une ovation spéciale pour notre Grenadière en chef.
Ceci fait, je voudrais avec vous ami lecteur, amie lectrice, remonter le temps jusqu’en 1974, année de notre unique participation à une phase finale de la coupe du monde. C’était le temps de la grande clameur originelle. Ce texte de Georges Anglade (1944 – 2010), La grande clameur, est selon moi indépassable pour décrire l’onde de choc que provoqua le but de l’attaquant haïtien Manno Sanon face au portier italien Dino Zoff lors de notre premier match en coupe du monde à Munich en juin 1974.
Sans être une fanatique rouge comme au temps de ma jeunesse, le football phénomène de société à nul autre pareil me captive. Dans ma famille, on s’y est toujours intéressé. Nous avions pour voisin l’international haïtien Pierre Bayonne. Il évoluait au sein du Violette Athletic Club. À la maison nous étions Violettistes, naturellement. Une de mes soeurs a joué pour le Club des Amazones. Je l’accompagnais au Parc Sainte Thérèse. L’épopée de Toup Pou Yo, le onze haïtien, à la Coupe du Monde de 1974 en Allemagne, fait partie de mes souvenirs les plus marquants. L’air et les paroles de Zim Pim Bow, le jingle composé en son honneur, n’ont jamais quitté ma mémoire. Ni l’image de ces coussins en plastique de forme carrée que l’on utilisait sur les gradins en ciment du Stade Sylvio Cator. À l’époque j’allais avoir sept ans. Je me souviens de la clameur racontée par Anglade. Tout ce que Haïti et sa diaspora – employait-on ce terme à l’époque ? - comptaient de poitrines poussa à l’unisson un cri qui fit trembler la terre. Je me revois assise sur le muret (tout bas) servant de clôture à notre maison. Le muret de la maison d’en face a vibré au moment où la multitude d’hommes juchés dessus, face à un petit téléviseur noir et blanc, déclencha une onde sismique. Ce n’est pas leur voix qu’on entendait mais leur âme. Un cri du coeur!
Ce mardi 18 novembre 2025, Haïti a réédité l’exploit de se hisser parmi l’élite mondiale du football. Fierté retrouvée. Patriotisme requinqué. Une nuit de liesse, comme Port-au-Prince en a peu connu depuis quelque temps. Mais des sons bien connus ces derniers temps se mêlaient aux cris et aux chants de joie. Déflagrations d’armes automatiques, semi-automatiques ou de poing. Toutes les gammes. Tous les calibres. Ce n’est pas le joyeux tumulte de mon enfance au temps d’une dictature qui pourtant avait instauré le temps de se parler par signe. C’est le fracas létal d’une capitale armée jusqu’aux dents.
Si cette victoire marque l’espérance et la renaissance, pouquoi l’accueillir par un concert de balles qui effraient et qui (peut-être) tuent ? La joie a-t-elle besoin de s’identifier à des armes de guerre? On n’a pas droit, ici, à des joies simples, sans mélange, san kè sote ? Comme cette euphorie bon enfant dans les gradins du stade à Curaçao; comme ces pleurs de joueurs heureux de faire le bonheur de leurs concitoyens, comme ce soulagement déferlant sur notre diaspora; comme cette communion de coeur et d’âme des Haïtiens de l’intérieur et de l’extérieur dans l’apothéose un 18 novembre.
Pouki tout tire sa a?
En octobre 1973, Toup Pou Yo a arraché sa qualification pour le Mondial chez elle, devant son public. Dans les dernières lignes de ce texte magnifique sur l’exploit de notre sélection nationale de l’époque, Georges Anglade nous apprend que la grande clameur lui était parvenue dans la cellule de prison où la dictature Duvalier avait jugé bon de l’enfermer. En 2025, Haïti étant devenue une prison à ciel ouvert, nos Grenadiers ont été forcés de jouer leurs matches à domicile en-dehors d’Haïti. Après leur éclatante victoire, un 18 novembre comme à Vertières, ils ont répété à satiété leur désir de rentrer au pays. Sur quel air saurons-nous les recevoir ? Kibò ? Kijan ?
#OUVÈPEYIA
Nathalie LEMAINE
19 novembre 2025
Note: La grande clameur est le titre de l’une des Lodyans de George Anglade figurant dans Rire Haïtien / Haitian Laughter, recueil bilingue de 90 lodyans, publié en Floride en 2006.
