L'enjeu numérique dans les infrastructures documentaires en Haïti

Au cours de l'année 1978,  M. Wilfrid Frédéric Lancaster  publia aux Etats-Unis, chez  un  éditeur de référence pour les ouvrages de science et de technologie de l'Information et de la communication,  American academic de New York, un ouvrage intitulé Toward paperless Information  System. (Vers un système d'information sans papier). Il s'agit d'un livre d'une portée capitale dans l'évolution de la bibliothéconomie et des Sciences de l’Information aux Etats-Unis et dans les pays anglophones.  L'auteur, diplômé en Information Science (IS), expliqua avec force détails, que le monde était, technologiquement parlant, arrivé à un point où il était possible et faisable d'arranger et de classer en format électronique la quantité d'information et de documents que l'on veut. L’on peut alors formater une base de données relationnelle pour emmagasiner convenablement ces données et les retrouver pour utilisation de façon extrêmement rapide à partir d'un ordinateur connecté au serveur central. Ce n'était pas à proprement parler du nouveau. Des expériences de ce type se faisaient déjà dans les laboratoires des différentes agences fédérales et bon nombre de donnés stratégiques étaient déjà archivées en format électronique, surtout après les travaux de l'ingénieur Ted Marcian Hoff sur les semi-conducteurs et la mise au point de la puce électronique pour la firme Intel. IBM (International Bureau Machine) devrait racheter Intel et  engager du même coup l'ingénieur Ted Marcian Hoff pour le perfectionnement continu de la puce électronique.

Mais l'audace de Lancaster a été d'affirmer  que tous les documents du format papier: journaux, revues, livres, documents administratifs et judiciaires y passeront et que le monde est entré  concrètement et définitivement dans un une nouvelle ère de gestion de l'information et de la connaissance: celle d'un nouveau système d'information sans papier, The paperless information system...Des gens voudraient bien tourner Lancaster en ridicule. Mais la réputation et le sérieux de l'éditeur les mettent en garde. Aux Etats-Unis d'Amérique, l'éditeur American academic, dans le domaine des Sciences et des Technologies de l'Information et de la Communication est une entreprise très sérieuse qui ne publie pas n'importe quoi. De plus, Lancaster lui-même allait donner la mesure de ses idées en jetant les bases de l'organisation des registres médicaux du Gouvernement Fédéral. (The medical record). Ce, d'après un modèle d'emmagasinement et de gestion complètement électronique, sans papier. Des expériences concrètes ont donc été conduites dans le champ de gestion  des données de la médecine avec des résultats probants. Décidément, le type ne plaisantait pas. De grands changements et bouleversements étaient vraiment à l'horizon. Il parait que le papier qui posait jusque-là de grands problèmes  pour  l'environnement quand on considère la quantité d'arbres qu'il faut abattre annuellement pour sa fabrication à l’échelle mondiale, le papier dirions-nous, avait bien fait son temps (has been). Lancaster devrait continuer avec sa brillante carrière en formant de cohortes de disciples, contribuant ainsi au passage sous format électronique de tonnes de documents en papier pour des agences, des administrations publiques et privées, des archives et des bibliothèques. La numérisation a pris son vol. Rien ne pourra plus l'arrêter, surtout avec le perfectionnement des technologies de stockage et d'utilisation de l'information. Cet envol sera de plus en plus déterminant avec la massification des supports individuels de gestion de l'information comme les Personal Digital Assistants (PDA) caractéristiques des tablettes numériques et de tous les gadgets électroniques. Désormais, les journaux, les livres les encyclopédies, les revues, peuvent se fabriquer, se  diffuser et s'échanger sans aucune version préalable en papier. D'un autre côté, la masse des documents en papier des administrations publiques et privées  peut être numérisée, emmagasinée, organisée pour être utilisée de façon efficace selon les besoins de l'administration. Les tickets d'avion, de métro et même l'argent délaissent le format du papier de plus en plus. Le phénomène englobe tout sur son passage, y compris les sons et les images qui peuvent être archivés, dans les serveurs. Le champ de la bibliothéconomie est alors ébranlé dans ses fondements théoriques et même pratiques. Désormais, l'on parlera de plus en plus de « Sciences de l'Information » avec l'accent sur les outils  technologies et le maniement des logiciels informatiques avec les Systèmes Intégrés de Gestion des Bibliothèques  (SIGB). De nombreuses bibliothèques mettent leurs catalogues en ligne sur internet  et procèdent à la numérisation de leurs fonds documentaires. En France, par exemple, la BNF  a mis en place le monumental projet Gallica numérisant une bonne partie de ses fonds pour les mettre en ligne à  la disposition des utilisateurs. Aux Etats-Unis d'Amérique, la New York Public Library (NPL) a numérisé tout son fonds documentaire. La tendance est amplement suivie dans le monde avec la commercialisation et la forte diffusion du livre électronique. On peut avoir maintenant toute une petite bibliothèque sous une clé USB (Universal Series Bus).

En Haïti, la numérisation pose un  véritable défi pour les fonds documentaires. Les conditions de conservation sont  fragiles, précaires et, dans certains cas, tout à fait inappropriées. Nous avons pu constater, au cours de nos promenades documentaires, des masses de documents qui sont pratiquement en processus de désintégration, car le papier originel constituant leur support contenait de fortes doses d'acide. Ces documents ont de forte chance de devenir de la poussière au premier contact d'un chercheur. Dans d'autre cas, des documents, des livres anciens sont attaqués par des rongeurs féroces ou les rayons de soleil. Dans de nombreuses collections en Haïti, les collections de journaux du début  du XIXème siècle sont presqu'inutilisables. Dans les archives des Ministères, le même problème se pose. Dans les Archives historiques du pays, les fonds anciens sont de plus en plus fragiles et appellent à des mesures urgentes  de  préservation  et de conservation.  La numérisation totale des  fonds  est  à la fois une grande opportunité et un  grand défi. C'est un jeu majeur pour l'avenir des fonds documentaire et de la recherche en Haïti. Le documentaliste et écrivain M. Euphèle Milcé a mené et mène encore un juste combat pour l'utilisation et la généralisation de la documentation numérique. La Banque de la République d'Haïti (BRH) avait commencé avec un tel processus tant pour ses archives ainsi que pour certaines pièces de son fonds documentaire.  Les Archives Nationales d'Haïti (ANH) avaient emboité le pas dans avec la mise en place de l'Annexe 3 à Delmas 29. Pour  la journaliste Yolande  Day du Nouvelliste, « Cette nouvelle structure déjà en marche est consacrée à la saisie systématique des registres de l’état civil des Archives nationales. Ce projet s’inscrit dans le cadre du programme visant à moderniser et de rendre efficaces et efficients les services offerts par les Archives nationales d'Haïti (ANH). Une cinquantaine de jeunes ont été recrutés pour accomplir le travail »[1].  Selon la même source documentaire,  « les registres de 1793 à nos jours seront numérisés. Les responsables des ANH comptent exploiter toutes les possibilités qu’offre le système numérique. Avec ce programme, plus besoin de manipuler les cahiers de registres. Il entend finir avec la question des certificats négatifs d’acte de naissance, des déclarations tardives, des documents frauduleux et les multiples actes de naissance pour un seul citoyen »[2].

Pour sa part, La Bibliothèque Saint-Martial des Pères du Saint Esprit (BSMPSE), sous la direction de son conservateur, M. Patrick D. Tardieu, avance sérieusement dans le processus de numérisation. Un travail énorme a été fait. A l'Université d'Etat d'Haïti (UEH), des initiatives sont prises et mises en œuvre par les Conseil Exécutif pour informatiser les processus de gestion au niveau de l'administration centrale et dans le Secrétariat Général de chaque Faculté. Il convient de finaliser le processus.  Il faut penser aux bibliothèques. Pour le Professeur Nixon Calixte[3], Il faut penser aux plateformes pour que des cours puissent se faire réellement en  ligne avec  la documentation disponible. Des expériences sont en cours à l’Université Quisqueya et au Campus Henri Christophe de l’Université d’Etat d’Haïti de Limonade. La numérisation est définitivement à l'œuvre dans les pratiques d’enseignement, dans la gestion des fonds documentaires et des processus administratifs en Haïti. Elle ne s'arrêtera pas. Les avantages sont immenses en termes de possibilités de stockage, de diffusion et d'échange. Il faut encourager les utilisateurs à posséder un ordinateur personnel et surtout suivre une formation appropriée pour devenir des consommateurs  intelligents de l'information et de la connaissance,  réduisant du même coup et de façon substantielle la fameuse fracture numérique. Dans la même perspective, il y aura un chantier immense de possibilités d'emploi pour nos jeunes techniciens et informaticiens et des perspectives de formation sur la gestion des fonds documentaires pour les professionnels des bibliothèques et les documentalistes.

Mais, il y a mieux. Dans le Nouvelliste du 4 août 2020, le journaliste Wébert Pierre-Louis nous apprend que « La Bibliothèque Nationale d’Haïti (BNH)  numérise son fonds documentaire »[4]. En cette occasion, le Directeur Général de la Bibliothèque Nationale d’Haïti (BNH), M. Dangelo Inrico  Néard, a déclaré au Nouvelliste : « la numérisation  du fonds documentaire de la BNH est d'une importance capitale, symbolique et solennelle dans la mesure mou  cette action de digitalisation de la pensée haïtienne permettra d'installer Haïti et l'esprit haïtien dans l'éternité. La numérisation et la vulgarisation des contenus numériques permettront à la pensée haïtienne d'être à la portée du temps. C'est une façon de garantir aux générations futures  un accès privilégié au patrimoine écrit d'Haïti »[5]. Voilà qui est clairement et très bien dit. Ayant une idée du fonds documentaire de la Bibliothèque Nationale d'Haïti (BNH),  nous  savons bien que c'est un grand, très grand chantier. Nous souhaitons bon travail à tout le staff de cette noble institution, cette « gardienne du patrimoine documentaire haïtien ». D’autres grands chantiers sont encore à l’horizon.  

 

Jérôme Paul Eddy Lacoste, documentaliste,

Responsable académique de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université d’Etat d’Haïti 

Juin 2024

babuzi2001@yahoo.fr

NOTES

[1] Yolande Day. « Annexe 3 », une nouvelle structure des Archives nationales d’Haïti, pour mieux servir la population ». In Le Nouvelliste 01 février 2028.

2Ibid.

3 Entretien accordé par le Professeur Nixon Calixte à l'auteur le 11 août 2021 dans les locaux de la Faculté des Sciences Humaines.

4 Wébert Pierre-Louis. « La Bibliothèque Nationale d’Haïti (BNH) numérise son fonds documentaire ». Le Nouvelliste. 4 août 2020.

5Ibid.

[1] Yolande Day. « Annexe 3 », une nouvelle structure des Archives nationales d’Haïti, pour mieux servir la population ». In Le Nouvelliste 01 février 2028.

[2] Ibid.

[3] Entretien accordé par le Professeur Nixon Calixte à l'auteur le 11 août 2021 dans les locaux de la Faculté des Sciences Humaines.

[4] Wébert Pierre-Louis. « La Bibliothèque Nationale d’Haïti (BNH) numérise son fonds documentaire ». Le Nouvelliste. 4 août 2020.

[5] Ibid.

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