A l'occasion de la sixième édition du «mois de l'empereur» dans la commune de Dessalines, Le National a rencontré Kesnel Damier, Président de l'Office de tourisme de Dessalines. Il a accepté de nous parler de cette initiative.
LN : Merci de nous accueillir à Dessalines à l’occasion du Mois de l’Empereur. Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteur·rice·s ?
Kesnel Damier :Je me nomme Kesnel Damier, enseignant et grand passionné de tourisme. Je suis le président de l’Office de Tourisme de Dessalines (OTD) et le fondateur de la Maison du Tourisme.
LN : Pouvez-vous nous parler un peu de l’OTD et de son champ d’action ?
KD : L’OTD, l’Office de Tourisme de Dessalines, a été fondé en 2021. Depuis sa création, notre travail consiste à aménager les sites historiques et touristiques de la ville, définir des circuits touristiques, et élaborer un document-cadre pour le développement du tourisme dans la commune. Heureusement, nous disposons déjà des sites et de l’attrait touristique nécessaires. Il ne reste qu’un travail de valorisation à faire, notamment la préparation des circuits.
L’OTD est là pour accueillir, informer et guider les visiteur·euse·s, que ce soit dans les domaines de l’hôtellerie, de la restauration, des produits artisanaux, ou encore de la documentation sur la ville et sur l’empereur Jacques Ier. C’est là une partie essentielle de notre mission.
LN : Bénéficiez-vous d’un accompagnement, au moins technique, du ministère de Tourisme pour développer et consolider ces initiatives ?
KD : Pour le moment, nous ne bénéficions d’aucun accompagnement du ministère du Tourisme. Nous n’avons pas encore établi de contact avec l’actuel ministre. Des démarches sont en cours pour créer un lien et présenter les initiatives entreprises par l’OTD.
LN : L’OTD organise depuis quelques années « Le Mois de l’Empereur », un événement qui célèbre la vie de Jean-Jacques Dessalines, mais surtout la réhabilitation de l’homme. Qu’est-ce qui vous a incité à mettre en place cet événement, et quelles sont les activités prévues pour cette sixième édition ?
KD : « Le Mois de l’Empereur » est le fruit d’une longue réflexion et d’un regard critique sur la manière dont l’État central commémore le 17 octobre. Pendant longtemps, la présidence et le gouvernement se contentaient d’ériger des stands et d’organiser des festivals pour célébrer la mort de Dessalines, sans retombées majeures pour la commune.
Nous avons décidé de rapatrier l’organisation de cet événement, non pas pour célébrer sa mort, mais pour honorer sa vie. C’est pourquoi « Le Mois de l’Empereur » débute chaque année le 20 septembre et se termine le 17 octobre. Nous avons jugé, à juste titre, que tout ce que représente Dessalines ne peut être célébré en une seule journée.
En 2017, nous avions lancé « La Semaine de l’Empereur », mais cela s’est rapidement révélé insuffisant. Ainsi est née l’idée du Mois de l’Empereur, pour célébrer sa vie et réhabiliter sa mémoire. Nous croyons fermement qu’en l’absence de ce travail de mémoire et de reconnaissance, il est impossible d’espérer voir émerger de nouvelles figures politiques dignes de Dessalines.
Voyez-vous, aucun leader aujourd’hui ne se rapproche de Dessalines ni de l’idéal dessalinien. Nous sommes convaincus que « Le Mois de l’Empereur » contribuera à une prise de conscience et à un véritable engagement citoyen.
Pour cette sixième édition, nous avons organisé des conférences visant à explorer toutes les facettes de l’homme, à mieux comprendre l’histoire liée aux deux maisonnettes situées dans la cour de Dessalines, ainsi que de nouvelles découvertes : le tombeau de Benoît Batraville, celui d’autres généraux, et un puits colonial situé dans la troisième section, qui contribuera certainement à enrichir la compréhension de l’histoire de la ville.
LN : « Le Mois de l’Empereur » est aussi un événement touristique. Comment l’OTD compte-t-il capitaliser sur le potentiel touristique et patrimonial de la commune pour attirer davantage de visiteurs ? Envisagez-vous par exemple d’inviter des écoliers et étudiants d’autres communes à découvrir la ville, ou encore d’exporter certaines activités vers d’autres régions pour leur donner une portée nationale, voire internationale ?
KD : Nous travaillons déjà sur ces axes. Nous avons des antennes dans les six sections communales ainsi qu’au centre-ville. Pour les sites situés dans les sections, nous mettons en place des Relais Tourisme et Patrimoine (RTP). L’objectif est de rendre ces sites accessibles à tout le monde, à commencer par les habitants de Dessalines, dont certains ignorent encore le potentiel historique, touristique et patrimonial de leur propre commune.
Nous travaillons déjà avec les écoles locales, en organisant des visites guidées et des échanges éducatifs autour de l’histoire et de l’importance des sites historiques. J’ai grandi ici, et jusqu’à un âge avancé, je ne savais même pas qu’il y avait des forteresses autour de la ville, tant elles étaient recouvertes par la végétation. C’est tout l’intérêt des circuits touristiques que j’ai évoqués plus tôt.
Nous intensifions également les formations pour les guides touristiques, afin de mieux accueillir les visiteurs. Notre ambition est de faire du Mois de l’Empereur un événement à la fois national et international, dès que le problème de l’insécurité sera résolu. En attendant, les gens peuvent découvrir notre travail à travers nos plateformes numériques.
LN : Vous avez évoqué des découvertes récentes dans la commune. Sont-elles documentées, géolocalisées, datées, et authentifiées par des professionnels ou des organismes reconnus dans le domaine ?
KD : Nous avons réalisé un premier travail de formation à la géolocalisation des sites inventoriés, grâce au soutien de la région de Savoie (France), référence en matière de tourisme. Nous mettons actuellement en place un système de positionnement au niveau du bureau de l’OTD. Cela signifie qu’à partir de notre bureau, nous pouvons définir la direction, la distance, le mode d’accès, et la connexion entre les forts pour chaque site identifié.
Concernant les découvertes, nous avons déjà lancé des travaux de vérification. Un mémorial a été produit et est disponible en accès libre au bureau d'OTD et au musée Jean-Jacques Dessalines, empereur 1er. Ce travail sera poursuivi avec d’autres experts du domaine. Malgré les difficultés de déplacement dues à l’insécurité, nous continuons à mener des travaux préliminaires, en attendant les validations officielles.
LN : Quelles sont les principales activités prévues pour cette sixième édition ?
KD :Comme mentionné, nous avons organisé plusieurs conférences, notamment celle d’ouverture, autour du thème : « Jean-Jacques Dessalines, Empereur 1er, le visionnaire ». Nous avons également tenu des ateliers d’écriture pour les jeunes, afin de les inciter à faire des recherches et à écrire sur nos héros. La traditionnelle Soirée impériale aura également lieu, avec des représentations historiques mettant en scène l’époque de l’Empereur.
LN :Avez-vous un dernier mot ?
KD : Dessalines-ville est un lieu à visiter, pour son histoire unique. Autrefois appelée Marchand-Dessalines, nous préférons aujourd’hui le nom de Dessalines-ville, afin de rompre le lien entre le colon et l’Empereur.
Lors de l’édition précédente, nous avons exploré la date de fondation de la ville. Les recherches sont en cours pour établir un consensus autour de mars 1804, bien que certains historiens évoquent 1803. Ce qui est certain, c’est que Dessalines-ville est la seule ville fondée par un dirigeant haïtien, dans le contexte de la naissance de la première république noire indépendante. On raconte que Dessalines y est arrivé à pied; ce n’était pas un hasard.
Je crois fermement que sans une meilleure considération pour cette commune, et sans un retour sincère à l’idéal dessalinien, nous aurons du mal à redresser ce pays.
Propos recueillis par Lesly Succès