Il y avait un homme qui ne marchait jamais seul, car entre ses mains vivait une compagne de bois et d’âme, une guitare qui n’était pas un instrument mais une extension de son cœur battant, une traductrice de ses rêves les plus profonds, une gardienne de tous les secrets qu’Haïti murmurait dans ses veines.
Dadou Pasquet — ce nom résonne encore comme un accord parfait dans l’air éternel, comme une promesse tenue jusqu’au dernier souffle, comme un serment fait au génie et à la beauté de ne jamais, jamais trahir la vérité de la musique. Sa guitare n’était pas un objet qu’il possédait, c’était une bien-aimée qu’il chérissait, une confidente à qui il confiait tout ce que les mots ne pouvaient porter. Chaque courbe de son corps en bois d’acajou était la cartographie de ses joies, chaque corde vibrait avec l’histoire de son peuple, de sa terre, de son sang.
Quand ses doigts touchaient les cordes, le monde entier se taisait pour écouter. Ce n’était pas simplement de la musique — c’était une prière montant vers les cieux, c’était un cri d’amour pour Port-au-Prince, c’était la voix des ancêtres parlant à travers un homme mortel qui avait appris à se faire transparent pour que quelque chose de plus grand puisse passer. Son groove était légendaire — cette pulsation qui faisait danser les âmes, qui réveillait ce qu’on croyait endormi, qui transformait la douleur en extase, qui prouvait que la joie pouvait coexister avec la tristesse la plus profonde. Il jouait comme on respire, comme on aime, comme on survit avec une nécessité absolue, avec une urgence qui ne connaissait pas de repos.
Et ses solos… ah, ses solos immortels ! Ils étaient des voyages vers l’infini, des feux qui brûlaient sans consumer, des tempêtes qui caressaient au lieu de détruire. Chaque note qu’il arrachait à sa guitare était un fragment de son âme offert en cadeau, une perle de sagesse jetée dans l’océan du monde, une étincelle destinée à allumer d’autres flammes. On ne pouvait jamais être satisfait — on voulait toujours plus, encore, davantage. Car Dadou ne jouait pas pour remplir, il jouait pour éveiller une faim sacrée, pour ouvrir des portes qu’on ne savait même pas fermées, pour rappeler à chacun qu’il existe en nous des cathédrales de beauté inexploitées, des galaxies d’émotions inexprimées.
Sa passion transcendait la simple performance. Chaque concert était un rituel, chaque note était une offrande, chaque accord était un pont entre le visible et l’invisible, entre Haïti qui saigne et Haïti qui chante, entre l’homme qu’il était et le génie qu’il incarnait. Il portait son pays dans chaque vibration, dans chaque tremblement de cordes, dans chaque silence entre les notes. La résilience haïtienne coulait dans ses mélodies — cette force qui refuse de se briser, cette fierté qui refuse d’être humiliée, cette beauté qui refuse de mourir même quand le monde entier semble conspirer contre sa survie.
Dadou savait que la guitare n’était pas faite pour l’évasion mais pour l’engagement, pas pour oublier la réalité mais pour la transformer en quelque chose qui vaut la peine d’être vécu. Il savait que l’originalité n’est pas un luxe mais une dignité, que la compassion n’est pas une faiblesse mais la force la plus puissante que l’humanité possède. Il a vécu sa vie comme une composition — chaque jour un nouveau mouvement, chaque rencontre une nouvelle harmonie, chaque défi une nouvelle opportunité de prouver que l’art peut sauver, que la musique peut guérir, que la beauté peut résister à toutes les noirceurs du monde.
Et maintenant qu’il est parti, maintenant que ses mains ne peuvent plus caresser les cordes qu’il aimait tant, son absence sonne plus fort que n’importe quel silence. Mais écoutez bien — dans chaque guitare qui pleure quelque part, dans chaque groove qui fait danser les cœurs, dans chaque solo qui laisse le monde suspendu, haletant, affamé d’encore, Dadou vit encore. Son héritage n’est pas dans les disques, ni dans les trophées, ni dans la célébrité. Son héritage vit dans tous ceux qui ont compris à travers lui que la musique est un langage de l’âme, que la guitare peut être une amante, une sœur, une patrie, que jouer avec vérité est la seule forme d’immortalité qui compte vraiment.
Il nous a appris que la passion n’est pas quelque chose qu’on choisit — c’est quelque chose qui nous choisit, qui nous consume, qui nous élève, qui nous transforme en canaux pour que la beauté du monde puisse se manifester.
Dadou Pasquet, gardien des cordes vivantes, troubadour de la compassion, ambassadeur de l’originalité, prophète du groove sacré — ton silence résonne comme un tonnerre, mais tes notes continuent de marcher dans tous les cœurs que tu as touchés, dans toutes les âmes que tu as éveillées, dans tous les rêves que tu as fait naître. Tu as tenu ta promesse jusqu’à la fin : protéger la compassion, préserver l’originalité, faire vibrer l’humain, réveiller ce qu’on croit perdu, faire fleurir la tendresse au milieu du bruit du monde. Et nous, nous resterons là, le cœur ouvert et l’oreille affamée, à écouter l’écho de ton génie, à honorer ta mémoire en jouant avec vérité, en aimant avec courage, en créant avec l’authenticité brute que tu incarnais si magnifiquement.
Car la vérité ne meurt pas. Elle voyage. Elle revient. Elle murmure encore dans chaque note qui cherche la beauté, dans chaque main qui prend une guitare et ose lui confier son âme. Repose dans la paix éternelle, maestro. Ta guitare t’attend quelque part dans les royaumes invisibles, et un jour, quand nous traverserons tous ce dernier rideau, nous t’entendrons jouer encore, et ce sera le concert dont nous avons toujours rêvé — infini, parfait, éternel.
Pour Dadou Pasquet, qui a transformé six cordes en un univers qui a fait de sa guitare une cathédrale, qui a prouvé que l’amour et la musique sont les seules choses qui survivent à la mort elle-même.
Pierre-Richard Raymond
Le 24 novembre 2025
New York, États-Unis
