La nouvelle est tombée comme un couperet et a pratiquement terrassé le secteur culturel du pays au moment même que l’on se réjouissait de la qualification de l’équipe nationale de football pour la coupe du monde de 2026 qui aura lieu au Mexique, aux Etats-Unis d’Amérique et au Canada. Oui, André Dadou Pasquet, le légendaire guitariste, compositeur, arrangeur et maestro du Magnum Band venait de nous quitter ce samedi 22 novembre 2025. Autant le dire tout de suite, il s’agit bien d’un véritable Mapou de la musique haïtienne qui s’en est allé. Un parcours exemplaire. Une fidélité à toute épreuve. Un professionnalisme rigoureux. Une connaissance approfondie du solfège et des accords. Un perfectionniste. Une maitrise éprouvée de la guitare avec un style propre et des lignes mélodiques spécifiques, reconnaissables à la première audition. Une manière bien à lui d’être sur scène et de diriger son orchestre avec compétence et leadership. Dadou Pasquet, c’est tout cela et bien plus encore….
Je me rappelle avoir écouté pour la première fois le son de la guitare de Dadou Pasquet dans ma ville natale, la Petite-Rivière de l’Artibonite. Il s’agissait de l’album Huitième Sacrement du Tabou Combo. Dadou Pasquet faisait alors des prodiges à la première guitare électrique secondé par M. Legagneur à l’accordéon qui venait de remplacer M. Paul Gonnel et un Herman Nau exceptionnel à la batterie. Dans un milieu habitué à des solos d’orgue des orchestres Septentrional et Tropicana, le jeu fulgurant de la guitare électrique de Dadou Pasquet secondé par l’accordéon, les breaks impressionnants de la batterie et des chœurs percutants avaient conquis les jeunes. A cette époque, la chanson Sa pa tann faisait un malheur à la Petite-Rivière de l’Artibonite avec un Shoubou (Roger M. Eugène) au sommet de son art. Puis, il y a eu l’album The Masters et Dadou Pasquet a laissé le Tabou Combo pour constituer le Magnum Band le 24 juin 1976, à Miami, en Floride. Le premier album parut à la fin de l’année 1979, la même année que les albums L’Univers des Frères Déjean de Pétion-Ville et David du D.P. Exprès avec un jeune chanteur Antoine Rossini Jean-Baptiste qui sera célèbre seulement deux années plus tard. Cet album s’intitule Expérience et nous montre, sur la pochette, les musiciens du nouvel orchestre, le torse nu, la tête haute, derrière les flammes d’un feu que MM. Ralph Boncy, Guillaume Lubin et George Léon Emile (Giorgio) qualifieront plus tard de « sacré »[1]. Dès ce premier album, le groupe a eu à faire montre de son identité. Il s’agit bien d’un son bien déterminé qui sera qualifié de « la seule différence » comme marque distinctive du groupe. Les auteurs Ralph Boncy, Guillaume Lubin et George Léon Emile (Giorgio) ont étudié à fond cet album et présenté les caractéristiques fondamentales de l’orchestration du Magnum Band. Je renvoie toujours nos lecteurs à l’ouvrage cité.
J’ai, pour ma part, publié plusieurs articles dans les colonnes du Journal Le Nouvelliste dans lesquels j’ai noté une forme d’arrangement bien particulière du Magnum Band alliant le fonds du Konpa Dirèk aux apports et fusions avec le blues, le soul music, les standards du jazz, les chœurs bien équilibrés, les cuivres soutenus et une rythmique bien articulée avec, de temps en temps, les breaks et solos de Tico Pasquet à la batterie[2]. Et, ce qui était tout à fait innovateur et même déroutant pour les oreilles de l’époque, ce furent les claviers qui jouaient la partition finale. Autant dire que toutes ces innovations en même temps ne furent pas facilement acceptées par un public assez conservateur. Le Magnum Band a été qualifié comme un groupe « indansable » ou encore que l’on puisse difficilement danser dans la bonne tradition des un-deux du Konpa Dirèk de chez nous. Au Lycée Toussaint Louverture, mes condisciples Edmond Payen, Eddy Valtrin et Jean Roland Chéry m’ont permis de mieux écouter le disque Expérience et j’ai été tout à fait emballé tant par les textes que par les arrangements. Puis, il y a eu le disque Jéhovah avec le même succès.
Au milieu des années 1980, le Magnum Band avait pris la décision de venir s’installer en Haïti. Alors, les auditeurs du groupe allaient pouvoir le fréquenter. Les kermesses se faisaient alors le vendredi après-midi au Fan Club de la Rue Audain récemment fondé par Antoine Rossini Jean-Baptiste (Ti Manno) et Ansyto Mercier. Le dimanche après-midi, le groupe jouait à l’Hôtel Paulema de Delmas, lieu d’hébergement de l’orchestre. Ensuite, les kermesses du dimanche se tenaient au Méridien Night-Club de Mariani à la grande satisfaction des fanatiques du Magnum qui étaient en ces temps-là, très nombreux à Carrefour. Je me rappelle bien que l’on allait dans ces kermesses en groupe d’amis. D’abord pour voir les musiciens. Ensuite, pour écouter de la bonne musique. Car, il ne faut pas l’oublier, le Magnum Band avec Dadou et Tico Pasquet, c’est d’abord de la bonne musique. Ce fut alors l’une des périodes les plus fructueuses du Magnum Band avec des tubes comme Pike Devan, Pa pale, Paka pala, Adoration, Way to the Heaven, kongo nan vodou, Ashadei, et surtout, surtout la chanson Libète dénonçant les conditions de nos compatriotes emprisonnés dans les camps de réfugiés aux USA et demandant leur libération. Mais Dadou Pasquet et le Magnum Band, c’est également des interprétations célèbres de standards du Jazz ou des œuvres de grands artistes nord-américains. Sous ce rapport, nous avons un fameux Summertimes, et surtout cette réalisation magistrale avec Cloose the door qui devrait faire connaitre des artistes comme Marvin Gaye, Teddy Pendergrass et Billy Paul en Haïti. Une réalisation superbe que je prends toujours plaisir à réécouter avec le même plaisir. Pour des pièces haïtiennes se rapportant au blues, nous avons Grann, Peze kafe, Complainte paysanne et des réalisations instrumentales comme Kosmik. Vraiment, des pièces d’anthologie de grande valeur.
Au cours de l’année 1991, le Magnum Band a effectué une grande tournée en Haïti. Le groupe avait alors joué au Kiosque Occide Jeanty du Champ de Mars devant un public énorme qui avait chaudement applaudi un duo entre Dadou Pasquet et Lionel Benjamin performant ensemble pour la chanson Grann. Puis le groupe a été au Cayes qui lui a réservé un accueil délirant. Ce que le groupe a reconnu en réalisant la chanson Okay dédiée à cette ville et à tous les Cayens et Cayennes. Puis, il y a eu le grand succès de la chanson Oupila pour les 25 ans de la compagnie Mini Records de M. Fred Paul avec un texte bien travaillé et un inoubliable solo de guitare du Maestro Dadou Pasquet. Cette pièce est sur internet avec une brillante intervention de la flutiste Francine Vandam. Le temps s’est écoulé. Mais le Magnum Band était toujours en activité est ses concerts sont très présents sur internet. Il y a une participation du chanteur Nestor Azerot qui a été très remarquée, particulièrement dans l’interprétation de la pièce Twa fèy twa rasin de Dodòf Legros. Autant le dire tout de suite, l’on ne pourra jamais relever tous les chefs d’œuvre et réalisations du Magnum Band et de M. Dadou Pasquet dans un article. Ce qu’il faut faire, c’est de prendre son temps et de bien écouter le Magnum Band et d’apprécier la musique de ce groupe à la lumière des théories musicales. Ce que les étudiants de l’Ecole Nationale des Arts (ENARTS) avaient l’habitude de faire chaque journée de 24 juin, jour d’anniversaire du Magnum Band. Mais, retourner sur les prestations du Magnum Band nous rappelle des animateurs célèbres comme Joe Damas, Jacques Jean-Baptiste, Félix Lamy, Kaptèn Bill, Anthony Lamothe et surtout Smith Xavier et Alix Antoine de la Radio MBC. Il est à rappeler que le Magnum Band avait eu une émission spéciale sur les ondes de la MBC le samedi de 4 heures à 5 heures PM. Tout récemment, Dadou Pasquet a eu sur internet une interview très plaisante sur internet avec M. Guy Welele.
Dadou Pasquet, grand musicien, guitariste, arrangeur, compositeur et chef d’orchestre a fait son œuvre. Celle-ci est immense et variée. Mais, elle n’est pas ou très peu diffusée en Haïti. Il parait que la musique de Dadou Pasquet est plus connue dans les Antilles françaises qu’en Haïti. J’ai eu à en faire personnellement l’expérience en Guadeloupe où des jeunes de la vingtaine me chantaient de la façon la plus naturelle la chanson Libète du Magnum Band. Impensable à Port-au-Prince dans le contexte actuel. Je termine ce texte en appelant les programmations des radios à diffuser davantage la musique du Magnum Band. Dadou était très intéressé à la mise en place d’une école de musique pour les jeunes. Il insistait toujours pour que les jeunes musiciens soient bien formés et qu’ils connaissent le solfège. Le chemin n’est pas long : reprendre la tradition des fanfares dans nos lycées et Ecoles privées. Ce serait un bon premier pas qui ne demanderait pas trop.
Je présente mes sincères condoléances à toute la famille du Grand Maestro André Dadou Pasquet et à ses proches et amis. En cette circonstance difficile, j’ai une pensée spéciale pour le grand batteur M. Claude Pasquet (Tico). Je sais combien Tico est affecté par cette perte. Mais, c’est la vie. Condoléances et courage à tous les fanatiques, les Pakapalas inébranlables du Magnum Band. Nous aurons toujours la musique du Magnum Band et de Dadou Pasquet dans nos cœurs et avec nous. Et c’est déjà beaucoup….
Jérôme Paul Eddy Lacoste, 24 novembre 2025.
Légende: Le légendaire Maestro et guitariste André Dadou Pasquet du Magnum Band (Source internet).
[1] Ralph Boncy, Guillaume Lubin et George Léon Emile (1992). La chanson d’Haïti. Editions CIDIHCA. Montréal.
[2] Il faut rappeler que M. Tico Pasquet fut le batteur mythique des Gypsies de Pétion-Ville de M. Robert Martino. Tico Pasquet a réalisé un solo de batterie célèbre dans la chanson Gagòt des Gypsies intitulé Baïla Toto.
