Le Centre Culturel Pyepoudre a accueilli, ce mardi 25 novembre 2025 à 3 heures, la représentation de FATMA, un spectacle aussi sobre qu’incandescent, porté par la comédienne Michéna Venalus et mis en scène par l’un des grands noms du théâtre haïtien, Daniel Marcelin. L’événement, proposé au prix accessible de 500 gourdes, s’est déroulé en présence de figures majeures de la scène culturelle, dont Syto Cavé, Jean Waddimir Gustinvil et le Professeur Biron. Une salle attentive, captivée dès les premières minutes, a été témoin d’une performance qui s’inscrit déjà comme l’un des moments forts de cette 22e édition du Festival Quatre Chemins.
Écrite par l’auteur algérien Ahmed Benguetaf, FATMA éclaire l’histoire d’une femme ordinaire, dont l’existence devient le miroir de tant d’autres : femmes silencieuses, femmes effacées, femmes debout. Le texte s’empare des gestes du quotidien pour révéler des réalités plus larges, l’oppression, la résilience, la solitude, l’espoir.
Fatma vit, lave, frotte, étend…
Ces actions simples, répétées, rythment une existence marquée par la douleur mais illuminée par une obstination à tenir debout.
Dans ce texte subtil, l’auteur interroge la place des femmes dans des sociétés où leur parole est souvent minimisée, étouffée, voire ignorée. C’est dans cet effacement que naît l’urgence de FATMA : écouter ce qui ne s’entend pas. Daniel Marcelin choisit de dépouiller la scène pour laisser la parole nue occuper tout l’espace.
Sur la scène : une corde à linge, tendue comme une frontière fragile entre le visible et l’indicible ; une petite chaise, modeste mais indispensable ; des ustensiles de lessive, cuvette, vêtements etc.
Cette scénographie minimaliste crée un théâtre de proximité, où chaque geste de l’actrice résonne avec intensité. Frotter un linge devient frotter une blessure. Étendre devient étendre un destin. Rincer devient laver la honte ou la mémoire.
Marcelin sculpte le silence avec la même précision que les mots. L’espace restreint devient alors une arène intérieure, un lieu de confession où Michéna Venalus libère, par le corps et la voix, la douleur enfouie de son personnage. La force du spectacle repose en grande partie sur l’interprétation exceptionnelle de Michéna Venalus. Son jeu, tout en retenue et en densité, capte l’attention sans jamais la brusquer. Elle incarne Fatma comme on porte un héritage, un fardeau et une lumière à la fois. Par son timbre, par ses gestes millimétrés, par ses silences, elle parvient à rendre tangible l’invisible : les blessures de Fatma, sa patience, ses rêves étouffés, sa dignité inébranlable. La comédienne fait surgir l’émotion sans jamais tomber dans la facilité. Elle épouse le texte, mais l’habite aussi de ses propres nuances, donnant au personnage une épaisseur humaine bouleversante.
FATMA n’est pas seulement un spectacle : c’est un hommage.
Un hommage aux femmes qui portent des mondes sans qu’on ne les voie.
Aux femmes qui avancent malgré l’injustice, malgré le silence, malgré tout.
Aux femmes dont les gestes nous échappent, mais qui maintiennent debout des familles entières, des sociétés entières. Par son minimalisme, par sa mise en scène précise et sa performance incarnée, la pièce nous invite à regarder autrement ce qui semble banal. À voir dans la lessive, dans les gestes du soin, un acte politique, un acte de résistance, un acte d’existence.
Le choix de présenter FATMA dans le cadre du Festival Quatre Chemins s’inscrit dans une volonté de croiser les imaginaires, de mêler les voix d’Haïti et d’ailleurs. La rencontre entre l’écriture algérienne de Benguetaf et la sensibilité haïtienne de Marcelin crée un dialogue d’une grande richesse : celui de deux peuples marqués par la violence, mais habités par une même dignité. Dans une société où les violences faites aux femmes restent un combat quotidien, FATMA arrive comme un miroir nécessaire, un rappel urgent, une poésie douloureuse.
Saint Pierre John Stanley
