Comme annoncé, les relais locaux du « gouvernement global » ont transmis au régime de facto un projet de décret électoral ainsi qu’un calendrier pour organiser prochainement des élections et permettre aux citoyens de choisir leurs dirigeants.
Mais comment accorder crédit à un tel processus lorsque cinq membres du Conseil présidentiel de transition ont eux-mêmes des dossiers en cours pour corruption et détournement de fonds publics ?
Comment également comprendre les pressions exercées par les autorités américaines pour imposer des élections sous la conduite de dirigeants profondément discrédités, alors que deux des plus grands départements du pays — l’Ouest et l’Artibonite — regroupant le plus grand nombre d’électeurs, sont aujourd’hui contrôlés par les gangs ? À quoi joue réellement l’international ?
Comment prétendre élire un président en excluant de fait une large partie du corps électoral ? Et comment ce chef de l’État, issu d’un scrutin amputé, pourrait-il gouverner au nom de la République sans mandat véritablement national ?
Peut-on enfin cautionner des élections qui offriraient aux corrompus occupant l’administration publique, ainsi qu’aux acteurs du crime organisé, l’occasion de préparer leur maintien ou leur retour au pouvoir à travers un processus verrouillé d’avance, ne favorisant que les candidats issus de leur clan mafieux ?
Où est le principe d’équité ?
Une compétition électorale ouverte et saine est celle qui offre à tous les partis et candidats des chances réellement égales. Or, lorsqu’une entité politique occupant le sommet de l’État entre en compétition avec des formations demeurées en dehors du cercle gouvernemental, le principe d’équité est d’emblée compromis et ne peut conduire qu’à une débâcle électorale. Par souci de justice et d’équité, aucun membre du CPT — ni leurs partis — ne devrait être autorisé à participer aux prochaines élections si celles-ci devaient se tenir à la date annoncée.
Un pouvoir fondé sur le favoritisme, le clientélisme et le népotisme, qui détourne le sens du service public, ne saurait garantir la confiance du citoyen dans un processus démocratique crédible.
Un scrutin est avant tout une médiation honnête entre les citoyens et le pouvoir. La légitimité des élus ne peut venir que de la sanction populaire exprimée par le suffrage universel, exercice par lequel le peuple affirme librement sa souveraineté. Cette légitimité ne peut être obtenue ni par la corruption, ni par la violence.
Le projet de décret électoral et le calendrier diffusés par le CEP ne sont que des opérations de diversion visant, au fond, à permettre au régime de facto de franchir l’échéance du 7 février 2026. Il s’agit d’une stratégie vaine, d’un jeu cynique mené par des forces obscures pour prolonger l’instabilité en Haïti. Cette manœuvre ne doit pas passer. Ceux qui aujourd’hui exercent le pouvoir sur la base de la corruption, du détournement et du pillage des ressources de l’État ne sauraient s’y maintenir. Ils doivent tous partir.
La neutralité des autorités publiques est une condition essentielle pour garantir l’équité d’un processus électoral. Or chaque conseiller présidentiel représente un secteur politique, tout comme chaque membre du gouvernement dont dépend la nomination du CEP. Dès lors, le processus apparaît vicié dès son origine, et sa crédibilité sérieusement compromise.
Les États-Unis doivent se monter cohérents !
Tout en réaffirmant ma confiance dans la démocratie libérale — dont les États-Unis demeurent l’un des principaux défenseurs — j’appelle ces derniers à se montrer cohérents avec les principes qu’ils promeuvent : égalité des droits, égalité politique et respect des normes démocratiques. Ces valeurs constituent le cœur de leur devoir moral et ne sauraient être sacrifiées à des considérations conjoncturelles.
Au regard de la situation actuelle, il est impératif de mettre en place, avant le 7 février 2026, une nouvelle gouvernance capable de rétablir la confiance citoyenne dans le processus électoral. Une telle transition est indispensable pour permettre un retour rapide à la normalité institutionnelle et à l’État de droit, à travers des élections véritablement libres, équitables et inclusives.
C’est à cette exigence que je me consacre en appelant chacun à assumer sa responsabilité. Il est temps de faire converger les volontés individuelles vers une même cause patriotique : définir ensemble une solution viable, en l’absence de réponse légale ou institutionnelle face à la crise actuelle. La réussite dépendra entièrement de notre capacité collective à vouloir et à décider, avec sérieux, cohérence et réalisme, la voie qui permettra enfin de sortir du désastre qui dure.
L’heure n’est plus au mutisme contemplatif, à l’évasion politique ni au refus obstiné de regarder la réalité en face. Le pays se désintègre sous nos yeux. Dans un tel moment, se taire ou se retirer revient à laisser le champ libre aux forces de la corruption, de la violence et de l’oppression. Chaque citoyen doit assumer sa part de responsabilité. La mienne, je l’ai toujours prise — et je la prends encore aujourd’hui.
Une classe politique et intellectuelle digne de ce nom ne se laisse pas dicter sa conduite par les injonctions impérialistes ni par l’agitation extérieure. Elle s’ancre dans une réflexion lucide, exigeante et profondément patriotique pour déterminer ce qui est juste, bon et nécessaire pour la nation.
Nous devons dire clairement non au projet d’éclatement de la République d’Haïti et lui opposer un refus patriotique ferme, responsable et sans équivoque.
Citoyennes, citoyens, où que vous soyez, ne fuyez pas l’espace politique ! Votre retrait ne ferait que renforcer ceux qui prospèrent sur la destruction de la nation. Le désengagement est leur plus grand allié.
Engagez-vous !
Engagez-vous pour défendre ce qui reste de notre dignité nationale !
Engagez-vous pour reconstruire un État au service du bien commun !
Engagez-vous pour que la justice, la liberté et l’égalité cessent d’être des mots creux et redeviennent des réalités vécues !
Haïti survivra si, et seulement si, ses fils et ses filles décident enfin de relever la tête, de s’unir et d’agir. L’histoire ne pardonne pas l’indifférence : elle célèbre toujours ceux qui ont choisi le courage.
Le moment est venu. Prenons ensemble la voie de la responsabilité et du patriotisme !
Sonet Saint-Louis av
Professeur de droit constitutionnel et de méthodologie de la recherche juridique à la faculté de droit et des sciences économiques de l'université d'État d'Haïti
Université du Québec à Montréal
Montréal, 17 novembre 2025
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