Port-au-Prince des sept douleurs

La capitale d'Haïti n'est plus ce qu'elle était. Rien ne prédestinait cette pimpante ville des années 1950 à son état actuel d'immense charnier où s'accumulent les déchets. Port-au-Prince était considérée comme une référence dans la Caraïbe. Ne dit-on pas que notre Cité de l'Exposition a inspiré le boulevard du Malecón dominicain !

Plongé aujourd’hui dans l'enfer du Village-de-Dieu, l’antre funeste des gangs, l'ancien Parc des Palmistes a vu défiler sur ses diverses scènes l'artiste cubaine Celia Cruz ainsi que d'autres vedettes. C’était durant les années folles, sous la présidence du très mondain colonel Paul E. Magloire. Le down town haïtien caressé par les eaux turquoises de la mer Caraïbe n’avait rien à envier à La Havane, la belle et désirable capitale de Cuba. Par dérision facétieuse, des badauds dans les rues lançaient à la cantonade aux touristes « blan give me five cents ! ».

Cet « âge d'or » aura duré jusque dans les années Duvalier, lorsque le climat est devenu politiquement funeste et que la répression s'est abattue sur le pays – mais la capitale existait encore. Les restaurants de la Grand-Rue, le mythique Bazar-la-Poste, les librairies Auguste et la Pléiade parmi d'autres tout aussi réputées étaient des lieux de rencontres. « Descendre en ville » était toute une aventure faite de promenades pour observer les vitrines des grands magasins ou y pénétrer pour se rafraîchir un moment dans l'air conditionné.

On pouvait distinguer le Port-au-Prince historique des rues Miracles, du Centre et Pavé du Port-au-Prince moderne dos à la mer. Cet espace appelé Bicentenaire ou Cité de l'Exposition, lieu de flânerie avec ses "amoureux qui se bécotent sur les bancs publics", pour parodier Georges Brassens. Les avenues larges et parfaitement tracées faisaient l'orgueil des Port-au-princiens. Jusque, disons, dans les années 1980, on pouvait encore parcourir les allées de l’historique Bicentenaire bordées de fleurs tropicales de toutes sortes. Puis, en se dirigeant vers la mer, non nécessairement pour s’y baigner mais pour s’accouder à la grille et admirer les flots azurés, nous passions devant l’imposant Bureau de postes où se pressaient des touristes américains.

C’est dans cet espace idyllique que les habitants de Port-au-Prince pouvaient contempler le splendide jet d’eau et la majestueuse grande roue, joyaux incontestés constituant l'attraction dominicale des familles de Port-au-Prince et d’Haïti tout entière.

Que dire de la prestigieuse tribune du Champ de Mars, dont les éléments, jadis emblèmes de fierté, ont été, pièce par pièce, démantelés et vendus, selon la rumeur, à des Dominicains ? Comment ne pas se remémorer les feux tricolores jalonnant les grandes artères de la capitale, éclairant de leurs lueurs les beaux quartiers de Pacot, de Bois-Verna et de Musseau ? Hélas, tous ces joyaux architecturaux ont été anéantis par des êtres sans foi ni loi, tandis que la nature vengeresse et la criminalité ont achevé le reste.

À l'époque, les plus grandes stations de radio et de télévision avaient leur siège en ville. Radio Métropole officiait rue Pavée et Haïti Inter place de l'Hôtel de Ville.

Aujourd'hui, comme le signalait un confrère de la rue du Centre obligé de fuir ses locaux du bas de la ville, les frontières de la ville reculent. Une sorte d’ascension « païenne » vers les hauteurs de Pétionville.

Le nouveau gouvernement devra impérativement se pencher sur le sort de la ville. Notre ministre des Affaires étrangères, soucieuse de notre patrimoine culturel, doit lancer un fervent plaidoyer pour sauver cette ville historique qui se meurt dans une indifférence crasse. Reconstruire la capitale dévastée par les catastrophes naturelles, l'incurie et la violence redonnera sa fierté à l'âme nationale et nous sortira de l'indigence et de l'ensauvagement criminel.

 

Roody Edmé

 

 

 

 

 

 

 

 

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