Quand la saison cyclonique de 2024 s’annonce inquiétante La crise haytienne entre sa construction et sa gestion : l’urgence d’une (de/re) organisation

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Introduction

      Hayti est sans conteste un pays à hauts risques et vulnérable (Pierre, 2019). Placé dans le bassin caribéen, il est exposé aux aléas d’origines lithosphérique et atmosphérique (Pierre, 2023). De façon soudaine, le pays peut être frappé par des séismes de magnitude élevée. D’autres phénomènes comme des pluies diluviennes, des tornades, des brumes de sable, des vagues de chaleur, des sécheresses, des mouvements de terrain… peuvent y avoir lieu. Tandis que, de façon régulière et lente, il peut être frappé, du premier juin au 30 novembre, par des tempêtes tropicales et des ouragans. Ajouter à cela, la façon dont la société s’organise, des risques sanitaires (épidémies, pandémies…), sociopolitiques (guerre civile, tueries, massacre, incendies…), socioéconomiques (blocages des infrastructures portuaires, aéroportuaires et routières, fermetures des magasins…) et diplomatiques/relations internationales (embargo économique, sanctions internationales, intervention militaire étrangère…) peuvent facilement affecter ce territoire.

             Malgré que ces aléas naturels et anthropiques menacent sérieusement le pays, la société haïtienne n’ayant ni la culture ni la conscience du risque auquel elle fait face, l’ignore ou le banalise au profit des intérêts particuliers ou claniques. Elle ne se dirige pas vers un volontarisme politique visant à réduire ses vulnérabilités alors que les conflits internationaux et mondiaux s’enveniment, les problèmes économiques du monde s’aggravent et les conditions météoro-climatiques deviennent de plus en plus inquiétantes. Depuis le séisme du 12 janvier, suite à l’échec cuisant de la reconstruction post-sismique marquée, entre autres, par la corruption ; la crise que connaissait le pays devient de plus en plus grave, ce qui le met actuellement en état d’urgence alors qu’il s’avance vers la saison cyclonique de 2024.

            En effet, quelles sont les prévisions pour la saison cyclonique de 2024 ? Comment un pays en situation de crise et en état d’urgence peut-il se préparer à d’autres crises potentielles?

     L’objectif de cet article est, d’une part, de présenter la prévision cyclonique de l’année 2024 (I), d’autre part, d’expliquer les facteurs de la crise d’Hayti (II) qui produisent à leur tour des crises de plus en plus complexe, et enfin, de proposer des éléments de gestion de la crise tant sur le plan structurel que sur le plan conjoncturel (II).

  1. La prévision de la saison cyclonique de 2024, chronique d’une catastrophe annoncée

 

            La saison cyclonique de 2024 s’annonce agressive et inquiétante. Selon les prévisions de l’Agence américaine de l’océan et de l’atmosphère (NOAA: National oceanic and atmospheric administration en anglais), d’une part, il est probable à 85 % que la région atlantique connaît une saison cyclonique très dangereuse. Au total, le nombre par tempêtes nommées se situe entre 17 et 25 qui peuvent être caractérisées par la vitesse du vent comprise entre 63 et 252 km/h voire plus. Parmi les 21 noms listés, (Alberto, Beryl, Chris, Debby, Ernesto, Francine, Gordon, Helene, Isaac, Joyce, Kirk, Leslie, Milton, Nadine, Oscar, Patty, Rafael, Sara, Tony, Valerie, Wiliam), il est important de mentionner que le 1er, le 7ème) et le 9ème ont déjà gravé dans les annales du risque cyclonique dans la caraïbe et notamment en Hayti. Si le premier et le neuvième respectivement en 2018 et 2012 ne se sont pas transformés en catastrophe quoique les dégâts étaient notables, le septième nom, Gordon en 1994, s’est transformé en une catastrophe majeure faisant plus de 2000 morts et disparus en s’accompagnant des dégâts matériels très élevés. À Jacmel, cet ouragan a pu territorialiser l’espace et conserver la mémoire du risque surtout à travers le quartier construit par des victimes qui porte son nom.

     D’autre part, parmi ces tempêtes tropicales prévues, 8 à 13 pourraient être transformées en ouragans caractérisés par la vitesse maximale du vent variant entre 119 et 178 km/h, dont 4 à 7 pourraient atteindre la catégorie 3, 4 ou 5 avec la vitesse maximale du vent comprise entre 178 Km/h et plus). À noter que la catégorie d’un ouragan, sur l’échelle Saffir-Simpson, est son intensité évaluée sur une valeur de 1 à 5. Les catégories 3, 4 et 5 peuvent causer des dommages importants ou très importants dépendamment du niveau de la vulnérabilité/de résistance des structures/de la résilience de la communauté en question. À ce niveau, les panneaux, les toits de maisons peuvent être endommagés ou fortement endommagés. Des objets mobilisables par le vent peuvent être transformés en projectiles. On peut s’attendre aussi à d’importantes inondations exigeant des évacuations à moyenne ou à grande échelle liées à de fortes pluies, à la vitesse maximale du vent qui varie entre 178 et 252 Km/h voire plus, accompagnée des ondes de tempêtes atteignant 2.7 mètres pour un ouragan de catégorie 3 et 5.5 mètres pour la catégorie 5. Ce qui peut profondément bouleverser toute la société haytienne et notamment la grande majorité de la population littorale.

            Cette situation inquiétante prévue pour l’année 2024 est due, entre autres, à l’élévation presque record de la température de l’océan Atlantique (1.2o C en février), au développement des conditions de La Niña dans le Pacifique qui a tendance à réduire la force des alizés et le cisaillement du vent dans les tropiques qui minimise le refroidissement des océans, dans le contexte des changements climatiques.

    Enfin, il n’est pas inutile de préciser que cette situation peut devenir de plus en plus grave dans le futur. Des études ont montré que le monde va vers l’‹‹ère des méga-ouragans››, autrement dit une période où des ouragans de très forte intensité dépassent la dernière catégorie longtemps définie. C’est pourquoi, il est déjà envisagé d’augmenter le niveau d’intensité des ouragans à la catégorie 6. Ce qui devrait aussi pousser les décideurs, notamment ceux d’Hayti à envisager de mettre en place de nouveaux mesures, stratégies, approches, dispositifs et outils pour s’adapter à cette nouvelle ère.

II- De l’État en crise à l’État d’urgence d’Hayti:  une vulnérabilité systémique ou une catastrophe chronique ?

 

2.1.- L’état de crise de l’État en crise

            Pouvant faire référence à la vulnérabilité, au risque et à la catastrophe, la notion de crise est polysémique et ambigüe. Elle désigne à la fois une évolution longue qui révèle des faiblesses structurelles inhérentes à un système humain ou sociétal (crise d’adolescence, économique, environnementale chronique durant des années), mais aussi un phénomène ou événement brutal, une rupture (une crise cardiaque, un coup d’État ou un cyclone ou un séisme interrompant le fonctionnement normal d’une communauté par exemple). Dans les deux cas, elle concerne une anomalie, un dysfonctionnement de la condition normale d’une personne, d’un système ou d’une communauté. Elle se déclare à la suite d’un événement déclencheur qui rentre en résonance avec un environnement fragilisé par des vulnérabilités (Laganier, 2011). Qu’elle soit longue ou brusque, la crise menace le fonctionnement de l’organisation qui doit y faire face. Elle nécessite donc la mise en place d’une organisation spécifique devant assurer sa gestion sur le long ou le court terme qui exige, avant tout, une évaluation et une préparation.

      À la lumière du modèle ‹‹ PAR ›› (pressure and Release-pression et libération,) proposé par Blaikie, Cannon, Davis et Wisner (1994 et 2004), l’évaluation de la crise haïtienne pourrait être abordée en termes de causes profondes, des pressions dynamiques et des conditions d’insécurité.

      Les causes profondes se traduisent par la mauvaise gouvernance politique qui crée des conditions d’instabilités et/ou de crises politiques, économiques et sociales depuis les premières expériences de l’indépendance. L’affrontement des deux ailes de l’aristocratie mulâtre et noire qui contrôlent le négoce international et accaparent les ressources du pays sans jamais investir dans la science et dans la mer (symbolisant la liberté) scelle le drame du pays (Vertus, 2006). En effet, ce modèle de gouvernance limite automatiquement l’accès aux ressources politiques, économiques, financières, infrastructurelles… à la majorité de la population. Sous l’Empereur Jacques Ier,, les nouveaux libres qualifiés d’africains (à l’opposé de citoyens) sont contraints de rester attachés aux plantations qu’ils fructifient au profit des hauts gradés de l’armée.  Tandis que sous Broyer, il était conditionnellement interdit à cette catégorie vivant dans les campagnes (espaces de privation) de s’installer dans les villes qui détiennent la maigre concentration d’équipements, d’infrastructures, de biens et de services sociaux de base. Au départ, le pays se construit sur des bases néocoloniales liée à la ségrégation sociale (exploiteur/exploité, paysans/citadins…) et fragmentation spatiale (nègres mornes ou en dehors/ nègres en ville…). Erigé en système politique, économique, social et culturel, ce modèle de marginalisation et d’exclusion socio-spatiale se reproduit et se modernise tout en générant des crises politiques, économiques, écologiques et sociales de plus en plus graves. La mort de l’Empereur Jacques Ier, la guerre civile de Cybert, la scission du pays, les incessantes luttes revendicatives de Goman, des Piquets, des Cacos et les différentes machinations/répressions responsives révèlent longtemps l’état de crise de l’État d’Hayti, pris en tenaille par la systématisation de la crise et la répartition équitable des ressources.

      En conséquence, cette crise génère des pressions dynamiques à travers la faiblesse des institutions haytiennes qui n’arrivent pas vraiment à investir dans les secteurs stratégiques capables de favoriser le développement humain. En effet, l’analphabétisme, l’ignorance, la corruption, le clanisme, l’incompétence, l’irrespect des normes… deviennent normes alors que la liberté de la presse et de la justice est menacée de façon violente ou douce. Les conditions de vie des ruraux se trouvent encore plus difficiles lorsqu’ils n’ont même pas l’accès à la parole pour faire passer leurs revendications. Réclamant donc le droit à la ville, ils accélèrent massivement l’urbanisation marquée par la non planification, la spéculation foncière où l’idée d’aménagement du territoire, d’urbanisme et de gestion des risques de catastrophe, les équipements, les infrastructures et les services sociaux de base succède aux constructions précaires quand elle n’est pas totalement absente. Cette croissance urbaine s’accorde à la croissance démographique globale due surtout à l’amélioration des conditions médicales et au faible investissement dans le secteur agricole rural délaissé au profit de l’importation imposée par le programme d’ajustement structurel (PAS) qui rend le pays insolvable. La privatisation de ses entreprises au profit d’une bourgeoisie internationalisée le prive des ressources stratégiques et financières adéquates pour réaliser de grands travaux d’aménagement du territoire et de réduction des vulnérabilités dans un contexte de dégradation environnementale accélérée. Sa mise sous embargo économique durant cette même période alors que l’instabilité politique le bouleverse sévèrement, Hayti est donc mis sous ‹‹ projectorat ›› qui le transforme de l’État décideur à l’État facilitateur. Il devient sans conteste un État de crise.

       Dans cet état de fait, des conditions d’insécurité se créent en s’exprimant par l’exposition directe des populations (vivant dans le sous-emploi, le chômage, la pauvreté et la misère) aux aléas naturels ou anthropiques. S’installant dans des zones pentues, sur des berges des rivières, sur des lignes de côtes et/ou de failles, dans des plaines alluviales inondables et instables ; elles sont donc soumises aux risques sismique, cyclonique, d’inondation, de glissement de terrain, de marée haute ou de tsunami, etc. Ces zones, naturellement fragiles et fragilisées par leur transformation en bidonvilles où vit la grande majorité de la population urbaine du pays, ne deviennent pas seulement en crise/à risques mais aussi ‹‹ crisogènes ››/‹‹ risquogènes ›› constituant des bombes à retardement.

2.2.- L’état d’urgence de l'État d’urgence d’Hayti

           

        Ce n’est pas par hasard que ce soient dans les zones favorisant des conditions d’insécurité qui deviennent progressivement des zones de non droit ou ‹‹ territoires perdus ››. L’insécurité qui s’abat sur le pays en général et sur la zone métropolitaine en particulier est la résultante des crises structurelles transformées en catastrophe (anthropique) réelle. Si on a l’habitude de catastropher même les faibles dégâts et naturaliser les catastrophes (catastrophe naturelle), il est important de préciser ce que le pays vit actuellement. Dans ce cas, pourquoi on ne parle pas de catastrophe anthropique ? Veut-on l’occulter pour s’innocenter ou pour l’envenimer? Pense-t-on que la catastrophe doit être uniquement d’origine naturelle ?

      Les dégâts observés dans certains quartiers de la zone métropolitaine de Port-au-Prince sont plus élevés que ceux d’un ouragan de catégorie 4 (Ike septembre 2008) ou d’un séisme de magnitude 5 ou 6 (Port de Paix en 2018). Selon le Bureau Intégré des Nations Unies en Hayti (BINUH), entre janvier et mars 2024, au moins 2.505 personnes ont été tuées ou blessées suite à la violence liée au gangs. Au moins 438 personnes ont été enlevées contre rançon au cours de la même période dans les départements de l’Ouest et de l’Artibonite. Plusieurs milliers de personnes ont fui leur quartier pour se réfugier dans des abris spontanés qui n’ont pas vraiment des infrastructures adaptées quand ils n’ont pas un autre lieu d’accueil dans la zone ou dans un autre endroit du pays alors que 1.4 million d’haytiens sont très proche de la famine selon le programme alimentaire mondial (2024). Dès la fin du mois de février, des gangs ont mené des attaques coordonnées d’envergures contre des institutions publiques et des infrastructures stratégiques de la capitale. Plus de 4.600 détenus se sont évadés des deux principales prisons de la capitale. Au moins 22 commissariats et sous-commissariats et autres bâtiments de police ont été saccagés ou incendiés et 19 policiers ont été tués ou blessés alors que des attaques armées poussent les décideurs à interdire tous les vols commerciaux sur le pays. Ce qui provoque le blocage de son premier ministre à l’extérieur, la démission du gouvernement et la déclaration officielle de l’état d’urgence sur toute l’étendue du territoire.

            À noter que, l’état d’urgence, qu’il soit officiellement déclaré ou de facto, traduit l’état critique d’un système qui mérite une intervention rapide. Dans un pays où tout paraît être urgent et tout se gère en urgence, l’urgence est l’état permanent de l’État. Autrement dit, il est un État d’urgence. L’existence du fond d’urgence et des comités d’opérations d’urgence sans de véritables centres permanents de recherche déconcentrés et décentralisés pour la réduction des vulnérabilités et des risques de catastrophe peut témoigner de l’importance de l’urgence aux dépens de la préparation de la prévention et de l’adaptation. Cette culture d’urgence n’anime pas seulement les personnels de l’État, mais aussi toute la société. Les Haytiens du Cap-haytien font disparaitre le panneau de signalisation au carrefour de Samarie, responsable, d’après eux, du blocus, mais augmentant les cas d’accidents liés aux motocyclettes reçus par la salle d’urgence de l’hôpital Justinien, en effet surnommée ‹‹ Haodjin ›› (marque d’une motocyclette). Souvent, les crises commencent ou s’aggravent en raison de leur mauvaise gestion, surtout liée à l’empressement ou à l’urgence. Cette culture d’urgence peut-être un héritage colonial. Le géographe Jean Saint-vil (1978) qui a cité Malouet, français de passage dans la colonie d’Hayti, a rapporté que ‹‹ chacun se hâte, se dépêche, ils ont l’air de marchands dans une foire ››.  Ce qui fait qu’il n’a même pas le temps de s’occuper de sa maison, ajoute-t-il.

2.3.- De l’état d’impréparation permanente à l’état d’une catastrophe imminente

 

            La préparation joue un rôle important dans la gestion de crise ou d’urgence même si elle dépend de l’adaptation et de la prévention qui restent la solution de base. Dans un pays où ces dernières sont quasiment absentes, elle devient difficile et compliquée. Selon l’état actuel de la crise et de l’urgence du pays, la préparation aux crises futures constitue un véritable défi, surtout quand elle n’est pas la priorité de l’État de crise en état d’urgence. Sa priorité est sans conteste de freiner l’insécurité liée au banditisme. Mais, l’obligation l'exige de se préparer quand même. Ce premier juin, il faut s’attendre à un discours politiquement correct relatif à la préparation de l'État face à la saison cyclonique.

             Cependant, combien de structure départementale ou communale liée à la gestion crise qui fait un travail de préparation réelle? Combien d’argent, de lot de matériel et d’expert reçoit-elle de l’État central pour renforcer son système de gestion crise ou pour l’évaluer? Ce qui est sûr, c’est que certains locaux de gestion de crise construits ou équipés par des étrangers sont abandonnés par leur personnel souvent étrange à travail qu’il ne maîtrise pas vraiment. Les citernes en PVC pour stocker l’eau, élément essentiel à la vie de l’Homme et à la gestion de crise, sont crevés par le soleil.

            Et, il est facilement observé que le système de drainage des milieux urbains ne fait pas l’objet d’un véritable nettoyage pouvant faciliter l’écoulement des eaux. Au contraire, même les rues deviennent de plus en plus de véritables sites de décharges publiques. Les rivières dont leurs lits mineur et majeur sont sédimentés puis habités ne subissent aucune action de dragage. Il s’agit donc des signaux clairs que la préparation n’est pas dans l’agenda étatique. Sinon, il y est au niveau des discours.

             Enfin, c’est dans cette situation que la saison cyclonique inquiétante de 2024 trouvera Hayti. Il est semblable à ses villes qui ont un service de pompier, mais le seul camion-citerne qu’il possède est à sec lorsqu’un incendie s’éclate pendant que les sapeurs-pompiers, ne sachant pas où trouver de l’eau, font semblant qu’ils vont éteindre le feu.

III-  De l’État en état d’urgence à l’urgence d’un État populaire et solidaire ?

 

      La crise, quelle qu’elle soit (longue ou brusque), menace le fonctionnement de l’organisation du système qui doit y faire face. Ses conséquences peuvent être catastrophiques tant sur le plan humain que sur le plan matériel. Elle nécessite donc la mise en place d’une organisation spécifique, sur le long ou sur le court terme, qui vise volontairement sa gestion soit par sa réduction ou la levée de l’état d’urgence afin de retrouver l’état normal. Sinon, sa persistance affaiblit le système jusqu’à son effondrement involontairement. À cet effet, il est important de préciser que l’état de crise et d’urgence d’Hayti peut être volontairement réduit ou levé. Et, l’État de crise et d’urgence d’Hayti, tôt ou tard, s’effondra soit à travers des catastrophes majeures (méga-phénomènes naturels, génocide, épidémie, pandémie…) soit à travers une politique volontariste qui vise à renforcer la capacité de résilience du pays.

         En priorisant l’approche volontariste de la gestion de crise et d’urgence, il faut envisager une réforme à la fois constitutionnelle et institutionnelle (surtout ministérielle) de façon intégrée, participative, et durable. Car, ce sont les ministères qui s’occupent réellement du développement de leurs secteurs et des acteurs relatifs. La première doit nécessairement passer par l’élaboration d’une nouvelle constitution qui, dans le cadre des dialogues régionaux, départementaux et nationaux sérieux, prend en compte les grands défis passés, actuels et futurs de la société. Aussi, la mise à jour des textes de loi s’avère nécessaire. Tandis que la deuxième, exige, entre autres, la réorganisation des ministères en fonction des problèmes cruciaux.

      A titre d’exemple, le Ministère de l’économie et des finances aura l’obligation d’investir beaucoup plus dans le volet économie. Le Ministère des affaires sociales devrait mettre en place un système assurantiel efficace et efficient capable de protéger les citoyens du pays de la naissance au décès. Le Ministère de l’éducation et de la professionnelle perdra son droit sur la formation supérieure et la recherche qui doivent faire l’objet d’un ministère à part entière en y ajoutant d’autres champs. Donc, la naissance, par exemple, du Ministère de la formation supérieure, de la science et de la technologie (MFSST) reste une priorité en raison de l'importance stratégique de ces secteurs. Il est inutile de démontrer que l’aménagement du territoire et de la gestion des risques de catastrophe constitue aussi des secteurs stratégiques sans lesquels Hayti ne connaîtra jamais un développement économique durable. À cet effet, la mise en place du Ministère de l’aménagement du territoire et de la gestion des risques de catastrophe (MAT-GRC) témoignera de la volonté politique de l’État de se doter des ressources institutionnelles adaptées afin de réduire ses vulnérabilités et de mettre le pays sur la voie de la modernité et du développement durable. Pour ces nouveaux ministères créés les fonds liés à la recherche et à l’éducation déjà existés, et le fonds d’urgence et le fonds national d’aménagement du Territoire (FNAT), respectivement, les alimentent, entre autres, en ressources financières indispensables à leur fonctionnement.

     Ces deux ministères témoigneront de l’expérimentation de l’approche holistique des domaines qui les constituent car, ils réuniront exigiblement des compétences transdisciplinaires comme des agronomes, aménageurs, anthropologues, architectes, biochimistes, développementalistes, éducateurs, économistes, environnementalistes, géographes, géologues, ingénieurs civils, historiens, médecins, politologues, sociologues, urbanistes… Tandis que le deuxième, témoigne plus spécifiquement de l’approche territoriale du développement et de la gestion des risques de catastrophe qui consiste à ne pas les aborder sur l’espace mais à développer et à gérer efficacement et durablement l’espace en prenant en compte les risques.

       De ce contexte, la décentralisation et la déconcentration du pays pourraient être accélérées quand les services d’aménagement du territoire et d’urbanisme des municipalités seront créés ou renforcés avec l’aide des directions départementales de ces ministères nouvellement nés. De plus, tous les départements voire les communes pourraient bénéficier d’un centre de gestion efficace et durable de risques de catastrophe qui réalise surtout des recherches d’aide à la décision et communique des informations utiles et nécessaires au bon fonctionnement de la société.

       La construction de ce chantier de grande envergure n’est possible que par une volonté politique réelle certes, mais elle exige avant tout la culture et la conscience du risque qui est fonction de l’éducation et de la formation de la population. Car, elle dépend d’abord du changement de la représentation et de la perception de la population vis-à-vis d’elle-même, de son espace et de l’État. En effet, tous les haytiens doivent tous se réorganiser contribuant à la désorganisation l'État de crise et d’urgence d’Hayti et à l’organisation d’un État diplomatiquement souverain et indépendant, politiquement démocratique et populaire, économiquement développé et prospère, socialement engagé, solidaire et progressiste, et écologiquement protégé et durable.  N’est-il donc pas urgent de commencer à le construire ?

            Ajouter à ces mesures structurelles, des mesures conjoncturelles sont d’importance capitale à l’approche de cette saison menaçante. Pour mieux se préparer aux situations de crise, il faut prendre en compte les dimensions spatiales et territoriales. Car, elle crée des territoires particuliers de la crise. Elle met en relation des besoins de secours (territoire à secourir ou d’urgence) et des ressources nécessaires aux besoins spatio-temporalisés (territoire des ressources) tels que des espaces décisionnels, d’approvisionnement en eau, en alimentation et en énergie, télécommunication, transport, refuge de la population nécessiteuse. Et, ces ressources doivent être préalablement identifiées, analysées par les acteurs qui hiérarchisent, à la fois, les enjeux les plus importants et les plus vulnérables dans le but de protéger les enjeux majeurs du fonctionnement du territoire (D’Ercole et al, 2012).

            Dans la situation d’insécurité grave à laquelle se trouve le pays, le centre d’opération d’urgence national et les lieux stratégiques doivent être hautement sécurisés. Au haut de l’échelle, tous les acteurs de la gestion des risques de catastrophe en Hayti doivent s’engager à prendre des décisions pouvant aider les populations les plus vulnérables à se protéger ou à sauver des vies et à protéger les biens. En effet, des ateliers avec les acteurs des ressources de gestion de crise par thème devraient être organisés. La mise à jour du plan de contingence devrait être effectuée en prenant en compte la situation d’insécurité et l’intégration de nouveaux acteurs qui peuvent être utiles. A titre d’exemple, les rectorats des Université d’État d’Hayti (UEH) et publiques en régions (UPRs) pourraient aider à travers surtout leurs professeurs et leurs étudiants. Cette aide peut être organisée par le haut ou par le bas. Des organisations travaillant dans le domaine doivent redoubler d’efforts et peuvent être renforcées par les principaux acteurs. Les comités locaux peuvent eux-mêmes élaborer leur plan local de contingence avec les moyens du bord, s’ils ne sont pas mobilisés à la préparation par les supérieures hiérarchiques. Le secteur privé peut contribuer en aidant les groupes organisés à renforcer leur capacité surtout au niveau du stockage des ressources stratégiques. La population devrait faire preuve de solidarité et de fraternité en s’entraidant. Enfin, toute la société devrait adopter un comportement ou une approche proactive car des violentes perturbations et des situations d’urgence peuvent survenir à tout moment mettant en péril la vie et les biens de tous.

 Conclusion

     En fin de compte, Hayti est un pays naturellement à risques qui mérite une organisation socio-spatiale efficace basée sur l’adaptation, la prévention et le développement durable. Mais, son organisation socio-spatiale héritée du modèle colonial français constitue les racines de sa crise territoriale érigée en système. Les conséquences perverses de ce système marquées par des crises structurelles s’expriment à travers la fragilité de société marquée par pauvreté, marginalisation, domination, injustice sociale, inégalités socio spatiales, etc. de nature à augmenter les impacts d’une crise potentielle liée aux conditions d’insécurité créées par l’installation de la population dans des zones exposées aux risques potentiellement catastrophique.

     En effet, les crises qu’elle traverse depuis ces derniers moments (qu’elle soit d’origine naturelle ou anthropique) sont construites dans le temps et dans l’espace par la société qui banalise ou ignore les risques en développant une véritable culture d’urgence. De l’échelle étatique à l’échelle populaire, l’impréparation et l’urgence deviennent principes.

     Cette culture d’urgence contribue aussi à la privation de la société de la capacité à faire face à des phénomènes adverses. Au point qu’il est mis en état d’urgence provoqué par le banditisme pendant que la saison cyclonique de 2024 avance dangereusement en quantité et en intensité selon les prévisions de la NOAA. 

    Etant donné qu’il s’agit du futur de tout le pays qui est en jeu et que la préparation aux crises conjoncturelles exige avant tout une préparation structurelle (l’adaptation et la prévention), il s’avère nécessaire que la population se réorganise pour désorganiser cet État de crise et d’urgence afin d’organiser un nouvel État populaire et solidaire. Conjoncturellement, cette solidarité doit se manifester à travers la contribution de tous à la protection des vies et des biens de la population.

Louis-Marc PIERRE, géographe et historien, docteur à l’Université Sorbonne Paris cité/Diderot, professeur à l’Université d’État d’Haïti (UEH) attaché à la Faculté des Sciences de la Terre, de l’Environnement et de l’Aménagement du Territoire (FSTEAT); Coordonnateur général de la Société des Aléas, des Risques, des Vulnérabilités, des catastrophes et de la Résilience (SARVCR).

societe.arvcr.hayti@gmail.com

Bibliographie

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 Laganier, R., 2011, “« S’organiser face à la crise : un enjeu pour une meilleure résilience urbaine », Séminaire « Résilience urbaine »”

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